DROIT FONCIER
Objet : L'occupation irrégulière du terrain d'autrui ne constitue pas un motif d'expulsion du territoire national
Le Tribunal Administratif de LILLE a eu l'occasion de se prononcer, par arrêt du 27 Août 2010, sur la validité d'une reconduite aux frontières pour occupation illégale du territoire d'autrui, en annulant un arrêté préfectoral du 24 Août 2010 par lequel le Préfet du Nord a ordonné la reconduite à la frontière de Mme Doina V veuve M.
Les faits sont les suivants :
Mme Doina V. veuve M., de nationalité roumaine, élisant domicile à AREAS 66 rue Saint-Gabriel à Lille (59000), a introduit une Requête en annulation d'un arrêté préfectoral prononçant son expulsion pour occupation illicite du terrain d'autrui.
Elle soutient :
- qu'il y a violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- qu'elle est exposée dans son pays d'origine à des persécutions ;
Par Mémoires complémentaires Mme V. veuve M. demande :
- d'annuler la décision fixant la Roumanie comme pays de destination ;
- d'enjoindre au Préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- de condamner l'Etat à verser à son Conseil la somme de 1 000 € au titre de l'article L. 761 1 du Code de Justice Administrative ;
- de dire que le Préfet ne peut pas appliquer l'article L 511-1 II 2° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car Mme V, veuve M, est en FRANCE depuis moins de trois mois ;
- que la seule occupation illégale d'un terrain ne constitue pas un trouble à l'ordre public de nature à fonder une reconduite à la frontière sur la base de l'article L. 511-1-II 8° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;
- qu'il n'y a eu aucune poursuite pénale ;
- qu'aucune « plainte » n'a été déposée par le propriétaire ;
- que la garde à vue n'a duré que six heures ;
- que la répression d'une telle infraction de voierie routière est assurée par une simple amende prononcée par le Juge pénal et, le cas échéant, devant le Juge civil par une action en réparation d'éventuels dommages ;
- qu'une telle amende serait d'un montant inférieur à 1 500 € et ne pourrait être assortie d'une mesure privative de liberté ;
- qu'au surplus, au cas d'espèce, aucun dommage ni aucune dégradation n'a été allégué par la communauté urbaine de LILLE ni par le Préfet ;
- que seuls sont invoqués des risques de difficultés et de troubles de voisinage ;
- que la requérante s'est vue octroyer un délai d'un mois pour quitter le territoire, ce qui montre qu'il n'y avait pas urgence.
La Préfecture, de son coté, fait valoir notamment en réponse aux arguments de fond développés par la requérante :
- que la requérante relève bien du champ d'application de l'article L 511-1-II 8° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- qu'elle vit dans un campement illégal depuis plus de deux mois ;
- qu'elle n'a effectué aucune démarche en vue de solliciter son intégration dans la société française ;
- qu'aucun élément n'établit que la requérante serait actuellement exposée à des risques de persécutions ou de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d'origine.
Le Tribunal Administratif de LILLE relève concernant la légalité de la mesure de reconduite aux frontières :
* Aux termes de l'article 27 de la directive communautaire n° 2004/38/CE du 29 Avril 2004, les citoyens de l'Union et les membres de leurs familles peuvent circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres dans les conditions suivantes :
« 1. Les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.
2. Les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.
Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.
Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. ».
* Aux termes de l'article L 121-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
« Tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d'un droit au séjour en application de l'article L. 121-1 ou de l'article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l'ordre public peut faire l'objet, selon le cas :
- d'une décision de refus de séjour,
- d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour, ou d'un retrait de celle-ci,
- ainsi que d'une mesure d'éloignement prévue au livre V » ;
* Aux termes de l'article L 511-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
« (...) II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :
(...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ;
(....) 8° Si pendant la période de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, pendant la période définie au 2° ci-dessus, le comportement de l'étranger a constitué une menace pour l'ordre public ou si, pendant cette même durée, l'étranger a méconnu les dispositions de l'article L. 341-4 du code du travail ».
* Les dispositions précitées de l'article L 121-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont pour objet d'assurer la transposition de la directive n° 2004/38/CE du 29 Avril 2004 susvisée.
Conformément aux objectifs fixés par cette directive, et, notamment son article 27, le comportement d'un ressortissant de l'Union Européenne ne peut, pour l'application des dispositions de l'article L 121-4 et de celles du 8° du II de l'article L. 511-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, être regardé comme constituant une menace à l'ordre public que s'il représente une menace :
- réelle,
- actuelle,
- et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.
Le Tribunal Administratif a relevé qu'il est constant que Mme V. veuve M., de nationalité roumaine :
- était entrée en FRANCE depuis moins de trois mois à la date de la mesure d'éloignement contestée,
- qu'elle occupait illégalement un terrain appartenant à LILLE Métropole Communauté Urbaine sis rue Verte à Villeneuve d'Ascq ;
Que, toutefois, cette occupation illégale :
- ne constituait pas en elle-même, en l'absence de circonstances particulières, une menace suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société,
- et ne pouvait dès lors être considérée comme une menace pour l'ordre public au sens des dispositions précitées de l'article L 511-1-II 8° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Pour les motifs évoqués ci-dessus le Tribunal Administratif a décidé que l'arrêté du 24 Août 2010 par lequel le Préfet du Nord a ordonné la reconduite à la frontière de Mme V. veuve M., doit par conséquent être annulé.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Aux termes de l'article L 512-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
« Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au titre V du présent livre et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ».
Toutefois, aux termes de l'article L 121-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les citoyens de l'Union européenne « ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour » ;
Il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que l'obligation de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour résultant de l'annulation d'une mesure de reconduite à la frontière ne peut trouver à s'appliquer aux ressortissants communautaires dès lors que ceux-ci n'ont pas besoin d'un titre de séjour pour séjourner en France.
Par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au Préfet du Nord de délivrer à Mme V. veuve M. une autorisation provisoire de séjour ne peuvent qu'être rejetées comme privées d'objet.
Ce sont les motifs pour lesquels le Tribunal Administratif a décidé :
- d'annuler l'arrêté du 24 Août 2010 par lequel le Préfet du Nord a prononcé la reconduite à la frontière de Mme V. veuve M.
- de condamner l'Etat à verser à Me Clément une somme de 500 € au titre de l'article L 761 1 du Code de Justice Administrative, sous réserve que celui-ci renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Jugement TA LILLE du 27 Août 2010
Extrait article LE MONDE