Syndicat de la Magistrature
12-14 rue Charles Fourier
75013 PARIS
Tel 01 48 05 47 88
Fax 01 47 00 16 05
Mail : syndicat.magistrature@wanadoo.fr
site : www.syndicat-magistrature.org
Paris, le 24 novembre 2010
Monsieur le garde des Sceaux,
Deux nouveaux coups de tonnerre dans un ciel judiciaire déjà bien obscur
viennent embarrasser les débuts de l'exercice de vos fonctions en ébranlant
profondément les fondements même du système judiciaire français.
Le 17 novembre dernier, le Conseil consultatif des juges européens a en effet
adopté une « Magna Carta des juges », soit une charte des principes
fondamentaux qui doivent s'appliquer à tous les systèmes judiciaires européens.
Le Conseil y proclame, s'agissant du ministère public, que le « statut
d'indépendance des procureurs constitue une exigence fondamentale de l'Etat
de droit ».
Comme une résonance à la reconnaissance de ce principe démocratique, la Cour
européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt daté d'hier, vient de
condamner la France pour violation de l'article 5§3 de la Convention,
disposition garantissant le droit à la sûreté.
Par cette décision, la Cour de Strasbourg confirme de manière à la fois
éclatante et incontestable sa jurisprudence « Medvedyev » : « du fait de leur
statut (...), les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas
l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence
constante, compte au même titre que l'impartialité, parmi les garanties
inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5§3 ».
Pour disqualifier le parquet actuel en tant qu'autorité judiciaire, la Cour s'appuie
sur une analyse très précise de son statut et souligne ainsi « le lien de
dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public ».
Elle rappelle également la nécessaire impartialité de l'autorité de contrôle de
l'enquête en relevant que, si la loi confie l'exercice de l'action publique au
procureur de la République, les « garanties d'indépendance à l'égard de
l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre
le requérant dans la procédure pénale ».
Ces nouveaux coups de semonce sonnent le glas du modèle français et rendent
impérieuse une réforme du statut du parquet.
Si cette réforme n'a pas encore eu lieu, ce n'est pas faute pour le Syndicat de
la magistrature d'avoir, à maintes reprises, alerté vos prédécesseurs sur cette
urgence, en particulier au moment de la présentation de l'avant-projet de
réforme de la procédure pénale. Faisant preuve d'une surdité obstinée - et
finalement coupable -, la Chancellerie a toujours refusé que la question du
statut du parquet soit seulement abordée... Pire, l'ancien garde des Sceaux n'a
pas manqué une occasion de jeter l'opprobre sur le juge d'instruction qu'il fallait
à tout prix supprimer, alors même que la Cour européenne n'avait cessé de
valider, au contraire, sa qualité d'autorité judiciaire indépendante.
A l'heure où le président de la République vient de fixer unilatéralement votre
« feuille de route » en matière de réforme pour la justice - notamment en vue
de l'introduction « d'assesseurs citoyens » dans les formations pénales de
jugement -, force est de constater que les priorités réelles sont ailleurs.
En effet, sauf à ce que la France s'accommode d'une procédure pénale qui
violerait en permanence de la Convention européenne des droits de l'Homme, il
vous appartient désormais de mettre en oeuvre une vraie réforme du ministère
public de nature à en assurer l'indépendance.
A cet égard, la décision du gouvernement français de faire immédiatement
appel de l'arrêt rendu dans « l'affaire France Moulin » augure mal d'une volonté
politique de sortir de cette impasse...
Dans un avenir plus proche encore, vous aurez également la responsabilité de
conduire la réforme de la garde à vue. Celle-ci devra tirer toutes les
conséquences de la jurisprudence européenne en termes de contrôle effectif de
cette mesure par « l'autorité judiciaire ».
Les magistrats et professionnels de justice attendent maintenant de véritables
évolutions, et plus l'autisme et le déni qui ont jusqu'alors, sur ces questions,
tenu lieu de politique. Aussi rendons nous public le présent courrier.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le garde des Sceaux, l'expression de
toute notre considération.
Pour le Syndicat de la magistrature
Clarisse Taron, présidente
Commentaires
Il est surprenant.....
...de constater que le mot "autisme" (voire "autiste") est devenu "à la mode" depuis quelques mois.
La maladie mentale est-elle en recrudescence, en droit et en fait ?
En réalité, il n'est pire sourd ...
Hé ! Justement....
...est-ce bien de la surdité ? Il y a parfois des mots qui sorte spontanément, qui jaillissent même, lesquels se révèlent ultérieurement appropriés, ô combien.
Ajouter un commentaire