N° 2372
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 février 2010.
EXTRAITS DU RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 2295) DE M. André VALLINI, M. Jean-Marc AYRAULT, Mme Élisabeth GUIGOU, Mme Marylise LEBRANCHU, M. Manuel VALLS, M. Christophe CARESCHE, M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC, M. Dominique RAIMBOURG, M. Pierre-Alain MUET ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE ET APPARENTÉS , visant à instituer la présence effective de l'avocat dès le début de la garde à vue.
PAR M. André VALLINI
Député.
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INTRODUCTION 5
I.- LA GARDE À VUE, PHASE CRITIQUE DE LA PROCÉDURE PÉNALE 7
A. LE RÉGIME GÉNÉRAL DE LA GARDE À VUE 7
1. Les conditions du placement en garde à vue et sa durée 7
2. Les droits de la personne gardée à vue 8
a) Le droit à l'information 8
b) Le droit de prévenir un proche ou son employeur 9
c) Le droit à un examen médical 10
d) Le droit de demander à s'entretenir avec un avocat 10
B. LE DÉROULEMENT DES GARDES À VUE TROP SOUVENT SUJET À CRITIQUES 11
1. Des locaux de garde à vue trop souvent indignes 11
2. Les pressions exercées sur les personnes placées en garde à vue 12
3. Un contrôle insuffisant des conditions de déroulement des gardes à vue 14
C. LA GARDE À VUE : PHASE DÉTERMINANTE DES POURSUITES PÉNALES 16
1. La garde à vue, antichambre des poursuites dites « rapides » 17
2. L'impact déterminant sur la procédure judiciaire des déclarations faites pendant la garde à vue 18
II. L'AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE : UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DU PROCÈS ÉQUITABLE 19
A. L'ASSISTANCE D'UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE : UN DROIT RECONNU DANS DE NOMBREUX ÉTATS EUROPÉENS 19
B. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME EXIGE L'ASSISTANCE D'UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE 21
1. Des arrêts de la CEDH concernant la Turquie 21
a) Du droit à l'assistance dès les premiers stades des interrogatoires de police... 21
b) ... au droit à l'assistance dès la privation de liberté indépendamment des interrogatoires 22
2. Des arrêts transposables au droit français 23
a) L'incontestable force obligatoire des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme 23
b) Le droit français n'est pas compatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme 25
III. UNE RÉPONSE DU LÉGISLATEUR QUI NE SAURAIT ÊTRE DIFFÉRÉE DAVANTAGE 27
A. L'INSÉCURITÉ JURIDIQUE DES MESURES DE GARDE À VUE NE SAURAIT PERDURER 27
1. Les risques d'invalidation des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d'un avocat 28
a) Les décisions rendues par les juridictions françaises depuis les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme font application des principes dégagés par le juge européen 28
b) Les décisions des juridictions nationales faisant application des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'Homme sont juridiquement incontestables 32
2. Les risques de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme 33
B. LE DÉROULEMENT DES GARDES À VUE TROP SOUVENT SUJET À CRITIQUES
1. Un constat unanimement partagé sur la nécessité d'une amélioration des droits des personnes gardées à vue 34
2. Pour une réponse simple et forte : l'assistance effective d'un avocat pendant les interrogatoires de garde à vue 36
DISCUSSION GÉNÉRALE 41
EXAMEN DES ARTICLES 49
La situation est connue et dénoncée depuis longtemps : les gardes à vue sont, trop souvent, effectuées dans des locaux insalubres, voire indignes dans certains cas. En outre, et malgré la valeur des personnels de la police et de la gendarmerie, les conditions de la garde à vue sont constitutives de pressions psychologiques. Enfin, le contrôle exercé par les parquets sur le déroulement des gardes à vue apparaît insuffisant.
1. Des locaux de garde à vue trop souvent indignes
L'état déplorable de certains locaux de garde à vue est connu depuis de nombreuses années. Il est inacceptable, non seulement pour les personnes gardées à vue, mais aussi pour les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale, contraints de supporter des conditions de travail indignes d'un État moderne et démocratique.
La situation n'évolue que marginalement et lentement. Dans les deux recommandations qu'il a, depuis sa création par la loi du 30 octobre 2007 (9), adressées au ministère de l'intérieur au sujet de locaux de garde à vue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, a dénoncé cet état déplorable. Au commissariat de Besançon, il a relevé que « La vétusté des locaux de garde à vue et de dégrisement et la fréquence de leur utilisation soumettent les personnes qui y sont placées à de mauvaises conditions matérielles » et recommandé que « des dispositions [soient] prises afin d'améliorer le sort des personnes gardées à vue qui sont, d'une part, dans l'incapacité d'effectuer une toilette faute de distribution d'eau chaude, d'équipement de douche et de mise à disposition de produits de toilette et, d'autre part, dépendantes des fonctionnaires pour se rendre aux toilettes et accéder à un point d'eau » (10). Au commissariat de Boulogne-Billancourt, le Contrôleur général a relevé que « Les conditions d'hygiène sont indignes pour les personnes placées en garde à vue et celles placées en dégrisement : les toilettes « à la turque » débordent dans les chambres de sûreté, une odeur nauséabonde saisit toute personne pénétrant dans une cellule même inoccupée, les murs sont recouverts d'inscriptions et de matières diverses. L'entretien courant est totalement défaillant. De ce fait, il s'ensuit aussi des conditions de travail que les personnels ne devraient pas avoir à supporter. Des travaux doivent être entrepris sur-le-champ. Faute d'amélioration immédiate, les cellules de garde à vue et de dégrisement ne sauraient être utilisées » (11).
Depuis plusieurs semaines, de nombreux témoignages de personnes ayant été confrontées à l'expérience d'un placement en garde à vue sont publiés dans la presse (12). Ces témoignages confirment que les situations décrites par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans les deux commissariats ayant fait l'objet de ses recommandations sont, malheureusement, loin d'être isolées.
2. Les pressions exercées sur les personnes placées en garde à vue
La garde à vue a pour objet, rappelons-le, de permettre aux forces de police et de gendarmerie de réaliser des investigations et de recueillir des déclarations de la part de la personne faisant l'objet de la mesure. Certes, aux termes des articles 427 et 428 du code de procédure pénale, « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction », et « l'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges ». Il n'en demeure pas moins que l'aveu revêt encore, dans notre système judiciaire, une force particulière. En dépit du développement de la police scientifique et technique, des méthodes d'analyse faisant, notamment, appel à l'ADN, notre procédure reconnaît toujours à l'aveu, ancienne « reine des preuves », une valeur probante excessive.
Cette culture de l'aveu conditionne le travail des enquêteurs, étant noté que la privation de liberté est, par elle-même, la première pression que subit la personne concernée.
Mais d'autres formes de pressions sont également utilisées dans le cadre des mesures de garde à vue. Cette affirmation n'a nullement pour but de stigmatiser policiers et gendarmes, qui dans leur immense majorité accomplissent leurs missions dans des conditions difficiles avec le souci du respect des lois de la République. Pour autant, le témoignage de M. Alain Marécaux lors de son audition par la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau nous rappelle que des formes illégitimes de pressions restent parfois, aujourd'hui encore, pratiquées en garde à vue :
« Première méthode : les injures. Je suis assis, menotté, accroché au sol. Je souffre d'un problème de dos. J'ai deux vertèbres qui se décollent. J'en fais part au policier qui m'interroge. J'ai même demandé, le lendemain, à être vu par un médecin, comme la loi m'y autorisait. La réponse du policier fut : "Tu commences à nous emmerder avec tes problèmes. Tu veux des médicaments, tu en auras." Voilà la première méthode policière. (...)
« La deuxième méthode, c'est le deal. Le policier qui est devant moi me dit que l'avocat ne sert à rien, que le meilleur avocat, c'est lui, et que si je reconnais tous les faits, ma femme et mes enfants seront libérés dans l'instant qui suit. Je vous prie de croire que quand vous avez devant vous un flic qui vous propose cela, quand vous vous dites que vous êtes embarqué dans une histoire grotesque, qu'une machine s'est mise en route, vous vous demandez si vous ne pourriez pas sauver votre femme et vos enfants. (...)
« La troisième méthode, c'est la méthode gentille. "Allez, avoue, et puis c'est tout. Ça va te faire du bien." (...) » (13).
Même si ces pratiques ne sont que marginales, il ne fait aucun doute que la présence de l'avocat pendant les interrogatoires de la personne gardée à vue permettrait de les empêcher.
D'autres usages courants lors des mesures de garde à vue peuvent également être assimilées à des formes de pressions. Tel est le cas, par exemple, du retrait quasiment systématique des lunettes et, pour les femmes, du soutien-gorge, dénoncés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son premier rapport annuel. S'agissant du retrait des lunettes, il peut placer la personne gardée à vue dans une situation d'inconfort et d'infériorité préjudiciables à son état physique et psychique que chacun peut comprendre aisément.
Quant au retrait du soutien-gorge, si des raisons de sécurité sont invoquées par le ministère de l'intérieur pour justifier cette pratique, M. Jean-Marie Delarue a souligné que le soutien-gorge « est un possible instrument de dissimulation, une vérification par un agent du même sexe doit résoudre la difficulté (au prix, si l'on veut, d'une privation brève). C'est aussi un vêtement armé... de baleines (éventuellement) : sous réserve d'un démenti à venir des fabricants, on conçoit difficilement que la baleine en cause devienne un tranchant redoutable ou quelque instrument de cette efficacité : combien d'automutilations ou d'agressions lui sont dues ?
« C'est enfin une forme (les bretelles) pouvant être utilisées pour un étranglement, ou une pendaison. Mais si tout est concevable, tout peut-il se produire ? Combien de pendaisons pourraient être commises chaque année avec ce mal par destination que serait le soutien-gorge ? Vraisemblablement aucune. Sauf à ce que les fabricants là encore opposent des avis autorisés, on voit mal une bretelle résister au poids d'un corps d'une cinquantaine de kilogrammes.
« Quant au danger pour autrui... puisqu'il s'agit bien, aux termes des textes en vigueur, de considérer le danger pour soi-même et pour autrui, convenons que la chronique des commissariats ou brigades recèle peu de récits d'attaques au soutien-gorge... » (14).
Ces pratiques aboutissent souvent à ce qu'une personne finisse par reconnaître des faits qu'elle n'a pas commis et, compte tenu du poids considérable de l'aveu dans les procédures judiciaires, en dépit de la règle légale ne lui reconnaissant aucune valeur particulière, cet aveu conduit à enclencher des procédures qui peuvent se conclure par des condamnations.
3. Un contrôle insuffisant des conditions de déroulement des gardes à vue
Aux termes de l'article 41 du code de procédure pénale, « le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. Il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an ; il tient à cet effet un registre répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans ces différents locaux. Il adresse au procureur général un rapport concernant les mesures de garde à vue et l'état des locaux de garde à vue de son ressort ; ce rapport est transmis au garde des sceaux. Le garde des sceaux rend compte de l'ensemble des informations ainsi recueillies dans un rapport annuel qui est rendu public ». L'article 65 du même code dispose, quant à lui, que « Les mentions et émargements prévus par le premier alinéa de l'article 64, en ce qui concerne les dates et heures de début et de fin de garde à vue et la durée des interrogatoires et des repos séparant ces interrogatoires, doivent également figurer sur un registre spécial, tenu à cet effet dans tout local de police ou de gendarmerie susceptible de recevoir une personne gardée à vue ».
Outre le contrôle sur place que le représentant du parquet peut effectuer sur l'état des locaux de garde à vue, c'est essentiellement par l'examen du registre de l'article 65 que le contrôle du parquet sur les mesures de garde à vue peut s'exercer. C'est ce que souligne le premier rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lui-même lecteur attentif de ce registre lors des contrôles qu'il opère dans des locaux de garde à vue : « Le registre de garde à vue, prévu par l'article 65 du code de procédure pénale, constitue, ainsi que l'a voulu le législateur, non seulement un moyen de connaissance de l'état des gardes à vue, mais aussi un outil permettant de retracer l'ensemble du déroulement de celles-ci. (...) Faute d'admettre dans notre droit, sauf à titre exceptionnel, des moyens exhaustifs d'enregistrement de l'ensemble de la phase d'enquête policière, le registre demeure l'outil central de contrôle du déroulement de la garde à vue » (15).
Or la lecture du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté révèle nettement l'insuffisance du contrôle que les parquets exercent sur les mesures de garde à vue, pour une double raison. D'une part, le contrôle que les parquets sont en mesure d'exercer est rendu difficile par une tenue des registres que le Contrôleur général qualifie de « variable selon les services ». D'autre part, le contrôle que les parquets exercent effectivement est, lui aussi, qualifié de « variable » par le Contrôleur général.
S'agissant de la qualité de tenue des registres, les lacunes relevées par le rapport du Contrôleur général révèlent que toute volonté de contrôle effectif de ces registres se heurte dans de nombreux cas au caractère incomplet, imprécis voire inexistant des mentions légales que devraient comporter les registres. Quelques exemples tirés du rapport précité illustrent cette situation : « Dans un commissariat, les contrôleurs ont constaté qu'une personne gardée à vue n'a été inscrite sur le registre de garde à vue que plusieurs heures après le début de la mesure » ; « Les gardes à vue sont parfois enregistrées sans ordre chronologique. Rencontrée dans deux commissariats, (...) cette modalité (...) peut s'expliquer par une mauvaise manipulation du document mais aussi par un enregistrement tardif » ; « L'absence de l'heure de début et/ou de fin de garde à vue a été remarquée à plusieurs reprises » ; « L'absence de la mention de prolongation a été constatée à plusieurs occasions » ; « Il arrive également que le registre ne porte aucune mention relative à des opérations effectuées durant le temps de la garde à vue. L'omission de l'inscription des auditions réalisées peut laisser craindre une durée de garde à vue excessive au regard des investigations nécessaires que seule une analyse ultérieure du procès-verbal sera en mesure de lever » ; « L'identité de l'OPJ qui décide de la mesure n'est pas toujours clairement établie à la lecture du registre : seule la mention du service est portée notamment lorsque la mesure est prise de nuit. Il en est de même de celle du magistrat qui accorde la prolongation » (16). Cette liste de carences n'est pas exhaustive, la lecture complète du rapporteur du Contrôleur général étant à cet égard édifiante.
Analysant ces différents manquements, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a estimé que « Ces manquements semblent liés à un désintérêt des OPJ pour le registre, alors même qu'il est prévu par la loi. Les enquêteurs expliquent que renseigner ce document constitue une gêne et une lourdeur, voire une perte de temps. Pour eux, les mentions figurent déjà dans le procès-verbal et le registre ferait doublon » (17). Néanmoins, ces manquements aux obligations légales d'enregistrement des informations afférentes au déroulement des mesures de garde à vue empêchent l'exercice effectif par le parquet de ses prérogatives de contrôle des mesures de garde à vue.
À ces carences dans la tenue des registres, viennent s'ajouter des carences dans l'effectivité du contrôle exercé par le ministère public. Les pratiques sont qualifiées de « variables » par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui ajoute que « La visite des locaux de garde à vue par le procureur de la République ne s'accompagne pas toujours d'un examen du registre de garde à vue et de son visa ». Certaines visites ont cependant révélé une absence complète de tout contrôle du ministère public : « Sur le registre de garde à vue d'une brigade de gendarmerie, aucun visa postérieur à 1983 n'a été trouvé. Dans une autre, le dernier datait du 14 octobre 2003 ». Cette insuffisance du contrôle des gardes à vue par le ministère public affaiblit gravement l'exercice par l'autorité judiciaire de sa mission de « gardienne de la liberté individuelle ».
Locaux de garde à vue indignes, pressions sur les personnes gardées à vue, insuffisance du contrôle sur les mesures de garde à vue : le tableau est sombre. Il l'est d'autant plus que la garde à vue exerce une influence déterminante sur l'exercice des poursuites et le sort pénal de la personne placée en garde à vue.
C. LA GARDE À VUE : PHASE DÉTERMINANTE DES POURSUITES PÉNALES
La garde à vue influe considérablement sur l'exercice des poursuites, d'une part, parce qu'elle est souvent l'antichambre des poursuites rapides, qui placent la personne poursuivie dans une situation ne lui permettant pas de se défendre dans les meilleures conditions, et, d'autre part, parce que les déclarations effectuées en garde à vue poursuivent le gardé à vue pendant toute la procédure pénale, scellant souvent son sort judiciaire.
1. La garde à vue, antichambre des poursuites dites « rapides »
Passé de 336 718 en 2001 à 577 816 en 2009, auxquelles il faut rajouter près de 200 000 gardes à vue pour des infractions routières qui font l'objet d'une comptabilité à part, le nombre des gardes à vue a explosé dans la dernière décennie. Or, dans la grande majorité des cas, ces mesures débouchent sur l'engagement de poursuites judiciaires dites « rapides », dont on sait qu'elles sont à l'origine d'une très large part des peines de prison ferme assorties de mandat de dépôt à l'audience.
La quasi-totalité des poursuites rapides, ainsi que la majorité des poursuites sur citation directe, font suite à une garde à vue (pour les majeurs comme pour les mineurs). Il suffit pour s'en rendre compte d'assister à une audience de comparution immédiate dans une grande juridiction, pour constater que toutes les personnes présentées ont passé un voire deux jours - et donc, une voire deux nuits - en garde à vue, mesure qui a généralement laissé des signes visibles de lassitude physique et psychologique rendant difficile la présentation d'une défense solide.
Les données transmises à votre rapporteur par le ministère de la justice le confirment. Ainsi, parmi les 552 124 affaires criminelles ou délictuelles concernant des majeurs poursuivies en 2008, 313 507 ont donné lieu à des poursuites dites rapides (par la voie de la convocation par procès-verbal, de la convocation par officier de police judiciaire, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou de la comparution immédiate devant le tribunal correctionnel) et 81 129 ont été poursuivies par la voie de la citation directe. S'agissant des affaires impliquant des mineurs, 55 019 des 58 550 affaires poursuivies l'ont été par la voie de requêtes pénales ou de convocation par officier de police judiciaire, tandis que 1 486 l'ont été par la voie de la présentation immédiate.
Au total, même si les données collectées par le ministère de la justice ne permettent pas de savoir si les personnes poursuivies avaient ou non été préalablement soumises à une mesure de garde à vue, puisque les statistiques relatives au nombre de gardes à vue sont collectées par le ministère de l'intérieur et ne sont pas reliées à celles du ministère de la justice, ce chiffre de 451 141 poursuites rapides coïncide peu ou prou avec le nombre total de près de 577 816 gardes à vue, la différence entre ces deux chiffres débouchant soit sur des poursuites par des procédures classiques, soit sur des mises hors de cause lorsque les investigations menées n'ont pas permis au ministère public de disposer d'éléments justifiant un acte de poursuite. Les 200 000 gardes à vue pour infractions routières débouchent elles aussi très fréquemment sur des procédures rapides, mais aussi, dans bon nombre de cas, sur des poursuites contraventionnelles devant le tribunal de police, car elles concernent largement des faits ne présentant pas le caractère d'un délit, et donc non passibles de peines d'emprisonnement.
Ce caractère quasi systématique de la garde à vue préalablement à l'engagement de poursuites apparaît excessif. Dans de nombreux cas en effet, la mise en oeuvre d'une procédure coercitive ne se justifie pas. C'est le cas lorsque la personne à l'encontre de laquelle existent des soupçons de participation à une infraction accepte de son plein gré de suivre les enquêteurs et de répondre à leurs questions. C'est le cas lorsque des mineurs sont poursuivis pour des faits qui sont parfois minimes, tels qu'une bagarre sans gravité à la sortie d'un établissement scolaire. C'est le cas pour un certain nombre d'infractions routières, où la personne est placée en garde à vue essentiellement pour l'empêcher de reprendre la route dans des conditions susceptibles de créer un danger pour les autres usagers, mais où un passager en état de conduire aurait pu prendre le volant après que l'infraction a été constatée sur le lieu même de sa commission.
En outre, le passage par la garde à vue, lorsqu'elle débouche sur des poursuites selon une procédure rapide, oblige (18) la personne poursuivie à comparaître dans des conditions qui lui seront défavorables : fatiguée par une ou deux nuits sans sommeil, n'ayant parfois pu ni se laver ni se raser avant de comparaître, psychologiquement atteinte voire traumatisée par l'épreuve qu'elle a subie et n'ayant disposé que d'un temps très réduit pour préparer sa défense.
Ce désavantage lié aux conséquences physiques et psychologiques de la garde à vue est aggravé par le fait qu'il est très difficile de revenir sur des déclarations faites pendant une garde à vue, qui, même si les magistrats s'en défendent, revêtent une force probatoire excessive.
2. L'impact déterminant sur la procédure judiciaire des déclarations faites pendant la garde à vue
Les déclarations faites pendant la garde ont un impact déterminant sur la procédure judiciaire : elles poursuivent le mis en cause tout au long du processus pénal, devant le juge d'instruction, auprès des experts et, le cas échéant, à l'audience. Il sera très difficile pour l'intéressé de modifier ou de préciser son propos. De plus, le mis en cause ne peut généralement même pas se réfugier derrière un refus de signer des procès-verbaux dont il estime qu'ils ne reflètent pas exactement les déclarations qu'il a faites : dans cette hypothèse, le procès-verbal conservera sa puissance accusatrice, le refus de signer étant souvent attribué au « mauvais état d'esprit » du gardé à vue.
Ici encore, il suffit d'assister à une audience de comparution immédiate pour constater que les déclarations faites en garde à vue sont le plus généralement lues à l'audience et en constituent souvent le point de départ déterminant. Lorsque le prévenu cherche à en préciser ou à en modifier le sens, cette évolution est souvent présentée par le ministère public, voire parfois par le président de la juridiction, comme une contradiction révélant le caractère mensonger des nouvelles déclarations. La garde à vue fabrique souvent une vérité policière, qui s'impose durant toute la procédure, audience comprise, pour finalement devenir vérité judiciaire.
Enfin, il n'est pas rare que soient placées en garde à vue des personnes, par définition non mises en examen (19), pour lesquelles le juge d'instruction dispose pourtant d'indices qui pourraient, en toute rigueur juridique, être considérés comme suffisamment « graves et concordants » pour rendre « vraisemblable qu'elles aient pu participer (...) à la commission des infractions dont il est saisi », et qui devraient justifier une mise en examen en application de l'article 80-1 du code de procédure pénale. Par ce biais, la garde à vue est donc parfois utilisée dans le cadre de l'instruction afin d'obtenir des aveux, en dehors de la présence et de l'assistance d'un avocat.
II. L'AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE :
UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DU PROCÈS ÉQUITABLE
La suite et le texte complet sur le lien suivant :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2372.asp#P163_28939