COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE.
Formation de section.
Rejet.
Arrêt n° 243.
3 mars 2010.
Pourvoi n° 09-11.070.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 4 novembre 2008), que le syndicat des copropriétaires de la copropriété X... (le syndicat) invoquant l'apparition de désordres affectant l'immeuble dont la réception avait été prononcée les 28 août et 16 septembre 1991, a fait assigner la société Axa Assurances (Axa), assureur dommages-ouvrage, aux fins d'expertise ; qu'une ordonnance du 13 septembre 2000 a désigné un expert, que le syndicat a assigné au fond la société Axa le 7 novembre 2000, que deux ordonnances de référé, rendues les 6 décembre 2000 et 13 juin 2001 ont, à la demande de la société Axa, étendu les opérations de l'expert aux constructeurs et à leurs assureurs dont la société Gan ; que la société Axa a, les 21 et 24 février 2003 fait assigner en garantie lesdits constructeurs et leurs assureurs et à la suite d'une transaction a réglé, en 2004, au syndicat une somme au titre des travaux de réparation des désordres de nature décennale ; que parallèlement et par acte du 3 janvier 2003 le syndicat a fait assigner en responsabilité et paiement la société Y... chargée du lot gros oeuvre ; et a, par conclusions ultérieures, demandé la condamnation à son profit des autres constructeurs et de leurs assureurs ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer son action contre les constructeurs et leurs assureurs irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen :
1°/ que l'effet interruptif de la prescription résultant d'une action portée en justice se prolonge jusqu'à ce que le litige trouve sa solution ; que la cour d'appel, qui a retenu «qu'un nouveau délai de 10 ans court à compter de l'action en justice dirigée contre celui contre lequel on veut prescrire» a violé les articles 2244 et 2270 anciens du code civil ;
2°/ que l'effet interruptif de la prescription résultant d'une action en justice se prolonge à l'égard de toutes les parties jusqu'à ce que le litige ait trouvé sa solution définitive ; qu'en l'espèce, il ressort des motifs de l'arrêt que la société Y..., M. Z... et la MAF, ont été attraits en expertise commune aux mois de novembre 2000 et mai 2001, avant l'expiration du délai de garantie décennale, par la compagnie Axa, qui avait elle-même été assignée en référé expertise par le syndicat des copropriétaires de la copropriété X... le 1er août 2000 ; que l'effet interruptif de la prescription résultant de l'assignation en expertise commune émanant de la compagnie Axa se prolongeait à l'égard de toutes les parties jusqu'à la dernière décision acceptant l'extension des opérations d'expertise, en sorte que les actes interruptifs de la prescription contre les constructeurs interrompaient la prescription, non seulement au profit de la compagnie Axa mais également au profit du syndicat des copropriétaires de la copropriété X... ; qu'en décidant du contraire pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action du syndicat des copropriétaires contre la société Y..., M. Z... et la MAF, la cour d'appel a violé derechef les articles 2244 et 2270 anciens du code civil ;
3°/ que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties, y compris à l'égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ; que le 1er août 2000, le syndicat des copropriétaires de la copropriété X... a assigné en référé la compagnie Axa afin de voir désigner un expert ayant pour mission notamment de déterminer la nature, l'origine et l'ampleur des dommages affectant l'ensemble immobilier ; que le 13 septembre 2000, le président du tribunal de grande instance de Gap a désigné un expert ; que la compagnie Axa a ensuite assigné en référé M. Z..., son assureur la MAF, et la société Y..., laquelle a assigné M. A..., exploitant sous l'enseigne Alpes Iso Eco et son assureur la MAAF ; que par ordonnances en date des 6 décembre 2000, 13 juin et 10 octobre 2001, le président du tribunal de grande instance de Gap a déclaré la mission de l'expert commune et opposable à l'ensemble de ces constructeurs et de leurs assureurs ; que dans ces conditions, même si le syndicat des copropriétaires de la copropriété X... n'a pas assigné lui-même les différents constructeurs et leurs assureurs, les ordonnances de référé étendant à ces derniers les opérations d'expertise ont un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties, y compris à l'égard du syndicat des copropriétaires ; qu'en jugeant que le syndicat des copropriétaires de la copropriété X... n'a pas interrompu la prescription à l'encontre de ces différents constructeurs et de leurs assureurs, la cour d'appel a derechef violé les articles 2244 et 2270 anciens du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la réception des travaux avait été prononcée les 28 août 1991 et 16 septembre 1991, que le syndicat avait agi en référé le 1er août 2000 à l'encontre de la société Axa assureur dommages-ouvrage, qu'une expertise avait été ordonnée sur cette demande le 13 septembre 2000, que les opérations de l'expert avaient été étendues, à la seule demande de la société Axa, à certains constructeurs et à leurs assureurs, les 6 décembre 2000 et 13 juin 2001 et que le syndicat n'avait cité aucun des intervenants à la construction avant les 28 août 2001 et 16 septembre 2001, la cour d'appel a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à la date de départ, après interruption, d'un nouveau délai pour agir, exactement retenu que la désignation d'expert à la seule demande de la société Axa n'avait pas interrompu la prescription au bénéfice du syndicat et que l'action de celui-ci à l'égard des constructeurs et des assureurs mis en cause était irrecevable comme prescrite ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la compagnie Gan Assurances Iard fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action subrogatoire de la société Axa Assurances, alors, selon le moyen :
1°/ que l'assureur qui exerce un recours subrogatoire ne dispose que des actions bénéficiant au subrogeant de sorte que son action est soumise à la prescription applicable à celle de la victime contre les constructeurs ; que la cour d'appel a déclaré irrecevable comme prescrite l'action du syndicat de copropriété X... à l'encontre de la compagnie Gan Assurances Iard ; qu'en déclarant recevable l'action subrogatoire de la compagnie Axa à l'encontre de la compagnie Gan Assurances Iard, la cour d'appel a violé l'article L. 121-12 du code des assurances ;
2°/ que le paiement effectué en dehors de toute obligation contractuelle de garantie ne permet pas à l'assureur de se prévaloir de la subrogation légale de plein droit ; qu'il en va ainsi notamment du paiement effectué par l'assureur postérieurement à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances sans que le syndicat des copropriétaires n'ait régulièrement habilité dans ce délai le syndic à agir à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage ; qu'en concluant à la recevabilité de l'action subrogatoire de la société Axa Assurances sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'indemnisation du syndicat des copropriétaires à une époque où la garantie n'était pas due ne prohibait pas toute action subrogatoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-12 et L. 114-1 du code des assurances ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Axa avait assigné les constructeurs et leurs assureurs en référé avant l'expiration du délai de garantie décennale afin que l'expertise judiciaire ordonnée par une précédente ordonnance à la demande du syndicat des copropriétaires et à son contradictoire, leur soit déclarée commune, que le syndicat l'avait assignée au fond moins de deux ans après la première ordonnance et que le paiement dû en vertu de la police dommages-ouvrage avait été effectué en cours de procédure à la suite d'une transaction, la cour d'appel, qui a exactement retenu que le syndic pouvait agir en référé sans autorisation préalable du syndicat et qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante dans les rapports entre l'assuré et l'assureur dommages-ouvrage sur l'existence d'une autorisation d'agir au fond suffisamment détaillée, a exactement retenu que l'action subrogatoire de la société Axa était recevable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Commentaire :
L'arrêt de rejet mérite d'être relevé car il apporte une certaine confusion sur l'évolution de la jurisprudence en matière d'effet relatif de la prescription.
Depuis une dizaine d'années, la 1ère, puis la 3ème chambre civile, ont unifié le point de départ de la prescription au profit du maître de l'ouvrage, en énonçant que toute modification d'une mesure d'expertise a un effet interruptif de prescription pour tous les chefs de préjudices, même ceux dénoncés antérieurement (Civ.1, 29 mai 2001, pourvoi 99-14127).
Mais c'est à partir d'un arrêt du 27 janvier 2004 que l'effet relatif sera aménagé par le juge pour préserver ses recours.
L'arrêt du 27 janvier 2004 de la 1ère chambre décida en effet que les extensions de missions d'un expert emportaient interruption de prescription pour tous les chefs de préjudice, et aussi pour toutes les parties appelées à la cause (Civ.1, 27 janvier 2004, pourvoi 01-10748).
Dans le dernier état de sa jurisprudence, la 3ème chambre a adopté clairement ce postulat et un arrêt du 21 mai 2008 (pourvoi 07-13561) a été commenté largement à l'époque.
Il est admis que cette dérogation au principe de l'effet relatif était le privilège du maître d'ouvrage, et en particulier du maître d'ouvrage en sa qualité d'assuré.
Il s'agissait en effet d'éviter que le bref délai de l'article L 114-1 du code des assurances ne piège l'assuré avant la loi du 17 juin 2008. A l'appui de l'article L 114-2, la désignation d'un expert judiciaire pouvait être assimilée à l'effet interruptif de la désignation d'un expert d'assurance.
Cependant, l'arrêt du 3 mars 2010, rejette le pourvoi du syndicat des copropriétaires qui reprochait aux juges d'appel de l'avoir privé du bénéfice des interruptions de prescription diligentées par l'assureur Dommages Ouvrage à l'encontre des constructeurs.
Ceci est d'autant plus remarquable que le syndicat était bel et bien à l'origine de l'expertise judiciaire puisqu'il avait attrait l'assureur Dommages Ouvrages, laissant à ce dernier le soin d'effectuer les appels en garantie.
La DO et le maître de l'ouvrage poursuivait en réalité des objectifs complémentaires à travers leurs demandes, qui étaient d'obtenir pour l'un la réparation de son ouvrage, et pour l'autre ses recours après réparation. En clair, il y avait connexité.
Or, dans une autre affaire, la Cour avait statué le 19 juin 2008 (pourvoi 07-15343) au bénéfice d'un locateur d'ouvrage contre un de ses assureurs, alors même que c'est l'autre assureur qui avait diligenté un appel de l'ordonnance et, par ce biais, prolongé encore le point de départ du nouveau délai. Ici, on ne trouve guère de connexité.
Les prétoriens pouvaient donc légitimement penser que la solution était désormais généralisée à toutes les parties, quelles que soient leur situation et l'instance.
Apparemment non.
C'est encore plus remarquable lorsqu'on compare cette solution à celle, très audacieuse, qui a été dégagée dans l'arrêt du 13 janvier 2010 (pourvoi 08-19075), commenté sur ce blog par François Xavier AJACCIO (le 26 janvier précisément, et je renvoie à l'excellent commentaire de cet excellent confrère).
La 3ème chambre civile énonçait en définitive que la solidarité, qu'elle soit légale ou conventionnelle, interrompait la prescription au bénéfice du maître de l'ouvrage à l'encontre du fabricant d'EPERS dès lors qu'il avait mis en cause l'entreprise principale dans le délai.
Or, à la relecture de cet arrêt récent, on ne peut s'empêcher de constater que le maître d'ouvrage se trouvait confronté à une circonstance similaire : seule l'entreprise avait appelé en garantie le fabricant dans le délai décennal.
On avancera prudemment, pour expliquer cette contradiction, que l'assureur DO et le locateur d'ouvrage ne sont pas tenus pareillement envers le maître d'ouvrage... mais il faut se rappeler aussitôt que, dans un arrêt du 1er mars 2006 (pourvoi, 04-20551), la Cour de Cassation avait affirmé, je cite :
« Mais attendu qu'ayant relevé que l'assureur en responsabilité décennale d'un constructeur ne peut se prévaloir de la faute de l'assureur dommages ouvrage ouvrant droit à garantie à son profit, que l'assurance dommages ouvrage, assurance de chose, bénéficiant au maître de l'ouvrage, ne constitue pas pour le constructeur une assurance de responsabilité et que la M.A.F. était à même de faire cesser le préjudice en finançant elle-même les travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l'ouvrage, la C.A., qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ».
De fait, le juge plaçait alors l'assureur RCD et l'assureur DO sur un strict pied d'égalité dans l'obligation de réparation.
Quel est donc le précieux mécanisme de ce subtil système ?
Jean-Luc BOUGUIER