COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON.
4ème Chambre
PLEIN CONTENTIEUX
N° 11LY02102
11 octobre 2012.
Inédite au recueil Lebon.
Vu la requête, enregistrée le 24 août 2011, présentée pour la SA CDF Ingénierie, dont le siège est 2 rue de Metz à Freyming Merlebach (57802) ;
La SA CDF Ingénierie demande à la Cour :
1º) d'annuler le jugement nº 0801195 du 9 juin 2011, par lequel le Tribunal administratif de Dijon l'a condamnée, solidairement avec la société Colas Est, à payer à l'Etat la somme de 53 170 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2008 et capitalisation annuelle de ces intérêts à compter du 25 septembre 2009, en réparation du préjudice résultant des désordres ayant affecté le pont franchissant l'Yonne sur la route nationale 6 à Pont-sur-Yonne (Yonne), et à supporter la charge de 65 % des frais d'expertise ;
2º) de rejeter la demande présentée par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie devant le Tribunal administratif de Dijon ;
3º) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le maître d'ouvrage avait le choix entre garanties contractuelle et décennale alors que le contrat n'a pas prévu la garantie décennale ; qu'il n'a prévu que la garantie contractuelle de l'étanchéité (5 ans) et de la peinture (10 ans) ; qu'aucune garantie ne concerne la structure, les travaux ne portant que sur la réfection du tablier du pont ; que le Tribunal s'est contredit en estimant que les travaux entrepris affectaient la solidité de l'ouvrage et que les désordres étaient de nature à le rendre impropre à sa destination, alors que le pont est resté affecté à sa destination, la circulation des véhicules de tout tonnage étant maintenue pendant toute la durée des travaux ; que les ouvrages d'art qui ne comportent ni clos ni couvert, ne sont pas destinés à l'habitation et ne bénéficient donc pas de la garantie décennale des constructeurs ; que l'action en responsabilité était prescrite ; que l'Etat intervenait en sa double qualité de maître d'oeuvre, chargé d'une mission de conception, direction et surveillance des travaux, et de maître d'ouvrage ayant imposé le maintien de la circulation pendant la durée des travaux ; que le jugement est entaché d'erreur de fait, le Tribunal ayant mis à leur charge 65 % de la responsabilité des dommages, alors qu'il a essentiellement imputé la cause des désordres aux vibrations ayant leur origine dans le maintien de la circulation, cause déterminante des désordres ; qu'à supposer que les joints aient été insuffisants en épaisseur, il n'est nulle part indiqué en quoi cette insuffisance est elle-même à l'origine des désordres qui ont été constatés ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2011, présenté pour la société RCA qui conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'elle soit mise hors de cause et, en tout état de cause, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SA CDF Ingénierie en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par les moyens que la requête n'est pas suffisamment motivée et qu'aucune conclusion n'est dirigée contre elle ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2011, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en ce qu'il a déclaré l'Etat responsable de 35 % des désordres, par les moyens que l'ouvrage est affecté de désordres qui compromettent sa stabilité et sa pérennité mais sont également de nature à le rendre impropre à sa destination ; que la responsabilité décennale concerne non seulement les bâtiments mais également les ouvrages de génie civil et les VRD ; que l'ampleur des travaux effectués démontre que ceux-ci participaient nécessairement au renforcement de certains éléments principaux destinés à assurer la solidité de l'ouvrage et à ce titre, susceptibles d'engager la responsabilité décennale ; que la nature des désordres constatés, fissuration et creux sur la surface de la chaussée, relève de la garantie décennale ; que l'insuffisante épaisseur de l'enrobé ne saurait être à l'origine des désordres puisque les quantités sont conformes aux prescriptions du marché et qu'une épaisseur d'au moins 7 cm a été constatée sur les zones dégradées ; que s'agissant de la pose prématurée de la feuille d'étanchéité sur son support béton, les entreprises spécialisées avaient à l'égard du maître d'ouvrage, une obligation de conseil dont elles ne se sont pas acquittées ; que c'est à tort que le juge a imputé à la DDE le choix de joints inadaptés, seule la responsabilité des entreprises devant être retenue ; que s'agissant des conditions de mise en oeuvre du mortier de ragréage et le maintien de la circulation, il s'agit d'un manquement de l'entreprise à son devoir de conseil dans la mesure où, compte tenu des informations fournies dans les pièces contractuelles du marché, elle ne pouvait ignorer la structure métallique de l'ouvrage source de vibration, ni le maintien alterné de la circulation ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2011, présenté pour la société Colas Est qui conclut à l'annulation du jugement et au rejet de la requête de l'Etat, subsidiairement à ce qu'elle soit garantie par la SA CDF Ingénierie de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle, par les moyens que les travaux ne relèvent pas de la garantie décennale ; que l'expert n'a donné aucun élément permettant au tribunal de se prononcer sur le caractère décennal ou non des désordres ; qu'il s'est écoulé plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise avant que l'Etat n'envisage de faire réaliser les travaux de réparation, alors que les ouvrages avaient plus de dix ans ; que rien ne permet d'établir qu'une éventuelle atteinte à la solidité de l'ouvrage interviendrait dans le délai de garantie décennale ; que l'Etat ne peut prétendre échapper à sa responsabilité en tant que maître d'oeuvre en invoquant un prétendu manquement au devoir de conseil que l'administration compétente avait en charge de surveiller ; qu'il doit, au titre de la conception et de la responsabilité propre au maître d'ouvrage, assumer les conséquences de la décision prise, contre les engagements initiaux, de maintenir la circulation sur le pont ; que l'insuffisante épaisseur de l'enrobé ne saurait être à l'origine des désordres ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 décembre 2011, présenté pour la société RCA qui porte à 2 500 euros la somme qu'elle sollicite en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrativeet, pour le surplus, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 janvier 2012, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 février 2012, présenté pour la société Lafarge mortiers, devenue Parexlanko, qui conclut à titre principal, à la confirmation du jugement, à sa mise hors de cause et à ce qu'une somme de 3 000 euros lui soit accordée en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par les moyens qu'aucune demande n'est dirigée contre elle et qu'alors qu'elle était sous-traitante, l'action de l'Etat à son encontre est irrecevable ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2012, présenté pour la société DV construction qui conclut à titre principal, à la confirmation du jugement, à sa mise hors de cause et à ce qu'une somme de 3 000 euros lui soit accordée en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par les moyens qu'aucune demande n'est dirigée contre elle et qu'alors qu'elle était sous-traitante, l'action de l'Etat à son encontre est irrecevable ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 septembre 2012 :
- le rapport de M. du Besset, président ;
- les conclusions de Mme Vinet, rapporteur public ;
- et les observations de Me Gitton, représentant la société Parexlanko ;
1. Considérant que, par un marché notifié le 8 décembre 1995, l'Etat a confié au groupement solidaire d'entreprises constitué de la société Colas Est et de la société CDF Ingénierie, les travaux de réhabilitation du pont franchissant l'Yonne sur la route nationale 6 à Pont-sur-Yonne, la maîtrise d'oeuvre de l'opération étant assurée par la direction départementale de l'équipement (DDE) de l'Yonne ; qu'alors que les travaux ont été réceptionnés le 19 novembre 1996, le faïençage et le décollement partiel du revêtement de la chaussée ont été constatés dès 1997 et se sont poursuivis en dépit de travaux de reprise partielle ; qu'après avoir obtenu en référé en 2001 la désignation d'un expert, lequel a rendu son rapport en mai 2006, l'Etat a recherché la responsabilité décennale des constructeurs devant le Tribunal administratif de Dijon ; que la SA CDF Ingénierie fait appel du jugement par lequel celui-ci l'a déclarée responsable solidairement avec la société Colas Est à hauteur de 65 % ; que, par la voie de l'appel provoqué, la société Colas Est reprend ces mêmes conclusions et demande à être garantie entièrement par l'appelante ; que, par la voie de l'appel incident, l'Etat demande que soit retenue l'entière responsabilité des entreprises ;
Sur la responsabilité décennale :
2. Considérant que la circonstance que le cahier des clauses administratives particulières ait stipulé une garantie spécifique à la charge des entreprises ne faisait pas obstacle, quand bien même cette garantie contractuelle aurait été prescrite, à ce que l'Etat recherchât la responsabilité des entreprises sur le fondement de la responsabilité décennale ; qu'il résulte de l'instruction que les travaux litigieux ont consisté en la réfection du revêtement du pont, composé d'une couche de roulement, d'un revêtement d'étanchéité sous-jacent, d'un mortier de ragréage et de joints de chaussée, dont l'ensemble constitue un ouvrage susceptible d'engager la responsabilité des entreprises qui l'ont réalisé au titre de la garantie décennale des constructeurs, quel que soit le caractère dissociable des éléments affectés ; que si les entreprises font valoir que les désordres affectant le revêtement du pont ont été sans incidence sur la solidité de l'ensemble de l'ouvrage et n'ont pas compromis la circulation, il résulte notamment du rapport d'expertise, qu'ils étaient généralisés et de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination dans un délai prévisible ; que, par suite, et même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, ils engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le revêtement d'étanchéité a été posé de manière prématurée sur son support béton insuffisamment sec, que le mortier de ragréage qui a été mis en oeuvre sur la dalle de béton armé n'a pas supporté les vibrations provoquées, sur ce pont à structure métallique de type " cantilever ", par la circulation maintenue pendant la réalisation des travaux et que les joints RCA installés ne pouvaient pas assurer l'étanchéité du fait de la conception particulière du pont ; que si les entreprises font valoir qu'elles ne sont pas à l'origine du maintien, pendant la durée des travaux, de la circulation, laquelle aurait dû être interrompue selon les documents contractuels, elles ont manqué à leur devoir de conseil en acceptant sans réserve de mettre en oeuvre le mortier sur un ouvrage sujet à vibrations ; que si de son côté l'Etat, en sa double qualité de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre, prétend qu'il ne peut être tenu partiellement responsable de la pose prématurée de la feuille d'étanchéité sur le support béton et du choix de joints inadaptés, il lui appartenait dans le cadre de sa mission de conception et de suivi de l'exécution des travaux de veiller tant au choix du type de joints à mettre en place qu'au phasage des travaux quelles que soient par ailleurs les obligations de conseil en la matière des entreprises spécialisées ; qu'enfin si tant les entreprises que l'Etat contestent que l'insuffisante épaisseur du béton bitumineux, constatée par l'expert, ait été en relation avec les désordres, cette circonstance est sans incidence tant sur le partage de responsabilité que sur la réparation des désordres ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les parties ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a déclarée la SA CDF Ingénierie et la société Colas Est responsables solidairement à hauteur de 65 % ;
Sur l'appel en garantie formulé par la société Colas Est :
5. Considérant que la situation de la société Colas n'étant pas aggravée à l'issue de l'examen de l'appel principal, ses conclusions d'appel en garantie présentées par la voie de l'appel provoqué ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que, d'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrativefont obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme quelconque au titre des frais exposés par la SA CDF Ingénierie dans la présente instance ; que, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les autres parties au titre des mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête la SA CDF Ingénierie et les conclusions des autres parties sont rejetées.