L'arrêt ajoute que la faute dolosive, de nature à entraîner une responsabilité post-décennale, a un caractère contractuel. Il statue en outre sur les modalités d'application de la réforme des prescriptions dans notre matière.
COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE.
Formation de section.
2 mars 2011.
Pourvoi n° 10-30.295.
Arrêt n° 260.
Cassation partielle.
[...]
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2009), qu'entre 1986 et 1988, Mme Chalabi et M. El Khalil, maîtres de l'ouvrage, assurés selon police dommages-ouvrage par la société Assurances générales de France IART, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD (société Allianz) ont, sous la maîtrise d'oeuvre de MM. Cosaert et El Khoury, architectes, confié les travaux de surélévation et de réhabilitation d'un immeuble situé 12 rue Adolphe Yvon à Paris 75016, placé ensuite sous le régime de la copropriété, à la société Colas construction (société Colas), entreprise générale tous corps d'état, assurée par la société Union des assurances de Paris, aux droits de laquelle vient la société Axa Corporate solutions (société Axa) ; que la société Colas a sous-traité les études d'exécution des installations de chauffage, équipement sanitaires, électricité et courants faibles à la société «Bureau d'études thermiques adaptées aux constructions» (société BETHAC) et la réalisation des travaux de chauffage, ventilation mécanique contrôlée et plomberie à la société SE3A France ; que la réception est intervenue avec réserves, pour les travaux de réhabilitation et de surélévation le 17 août 1987, et, pour l'aménagement des parties communes et des travaux de finition divers le 15 juin 1988 ; que les réserves ont été levées selon procès-verbal des 16 et 18 janvier 1989 ; que la société Alpha est intervenue à la demande d'un copropriétaire pour installer une climatisation avec passage de certaines canalisations dans la chaufferie collective de l'immeuble ; que des anomalies ayant été constatées dans la chaufferie de l'immeuble, le syndicat des copropriétaires du 12 rue Alphonse Yvon à Paris 75016 (le syndicat) a, par acte du 28 janvier 1994, assigné en référé-expertise l'assureur dommages-ouvrage ; que les opérations d'expertise ont été rendues communes aux constructeurs, aux sous-traitants, à la société Alpha et à la société UAP par ordonnances des 19 janvier, 2 février et 4 mai 1995 ; que le syndicat a fait réaliser à ses frais avancés les travaux préconisés par l'expert dans un pré-rapport déposé le 14 janvier 1995 ; qu'après dépôt du rapport définitif de l'expert le 25 mars 1999, le syndicat a, par acte des 11 et 12 janvier 2005, assigné l'assureur dommages-ouvrage, la société Colas et son assureur, et la société BETHAC, la société Alpha et la société SE3A, en liquidation judiciaire, ayant pour liquidateur M. Giffard, en remboursement des sommes versées ;
Sur le premier moyen en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Colas et Alpha :
Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses actions dirigées contre la société Colas sur le fondement de l' article 1792 du code civil, et, contre la société Alpha, sur le fondement quasi délictuel, alors, selon le moyen, que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise, ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre ; qu'en déclarant prescrite l'action du syndicat des copropriétaires, exercée par assignation délivrée au fond les 11 et 12 janvier 2005, quand l'ordonnance de référé du 2 décembre 1994 ayant nommé M. Bonnin en qualité d'expert avait été successivement modifiée par ordonnances des 19 janvier, 2 février et 4 mai 1995, étendant les opérations d'expertise à la société Colas, à la société BETHAC puis à la société Alpha, ce qui avait eu pour effet de reporter l'effet interruptif de la prescription au 4 mai 1995, la cour d'appel a violé l' article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
Mais attendu que pour être interruptive de prescription, la citation en justice doit être adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'ayant retenu que le syndicat, qui ne rapportait pas la preuve qu'il aurait été à l'initiative de l'assignation en référé délivrée à l'encontre de la société Colas, ne justifiait pas avoir interrompu le délai décennal de forclusion, et qu'il ne démontrait pas avoir assigné la société Alpha dans les dix ans de la manifestation du dommage, laquelle se situait au plus tard le 28 novembre 1994, date de l'assignation en référé délivrée à l'assureur dommages-ouvrage sur la base du rapport de M. Ruillier, architecte, qui dénonçait les non-conformités, la cour d'appel en a exactement déduit qu'au jour des assignations au fond des 11 et 12 janvier 2005, la prescription était acquise, s'agissant de l'action en responsabilité décennale dirigée contre la société Colas et de l'action en responsabilité quasi délictuelle dirigée contre la société Alpha ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches, en ce qu'il est dirigé contre la société Colas :
Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action contre la société Colas, fondée sur le dol, alors, selon le moyen :
1°/ que commet une faute dolosive par violation consciente et délibérée de ses obligations contractuelles, le constructeur qui participe à la réception sans réserve d'une installation de chauffage au gaz affectée de non-conformités d'une gravité et d'une dangerosité telles qu'elles ne pouvaient échapper à ce professionnel de la construction, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de lui livrer un ouvrage exempt de vices ; qu'en écartant toute faute dolosive de la société Colas au motif que l'absence de réserves sur les non-conformités affectant le système de chauffage ne caractérisait aucune malhonnêteté de sa part, la cour d'appel a violé l'
article 1147 du code civil ;
2°/ que le constructeur, contractuellement lié au maître de l'ouvrage, qui garde délibérément le silence sur la réserve générale émise sur les travaux par le sous-traitant qu'il a chargé de leur conception, commet une faute dolosive à l'égard du maître de l'ouvrage, qu'il prive d'une action sur le fondement de la garantie décennale ; qu'en ne recherchant pas, comme le faisait valoir le syndicat des copropriétaires, si la société Colas n'avait pas été informée, au cours d'une réunion qui s'était déroulée le 26 août 1987, soit quelques jours après la réception prononcée le 17 août 1987, d'une réserve générale émise par la société BETHAC sur l'installation de la ventilation, et si elle n'avait pas commis une faute dolosive à l'égard du maître de l'ouvrage en ne l'alertant pas sur l'existence de cette réserve générale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l' article 1147 du code civil :
Mais attendu qu'ayant relevé que les lots «chauffage-ventilation» avaient été sous-traités par la société Colas, entreprise générale tous corps d'état, à la société BETHAC, et retenu que, quelle que soit la gravité, pour la sécurité des occupants de l'immeuble, des anomalies affectant l'installation de chauffage, constatées par l'expert dans son pré- rapport du 14 janvier 1995, il n'était pas démontré par le syndicat que ces anomalies, qui ne figuraient pas dans les réserves émises par la société BETHAC, étaient, au jour de la réception et de la levée des réserves, connues de la société Colas et que celle-ci les auraient intentionnellement dissimulées, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu en déduire que la faute dolosive invoquée par le syndicat à l'encontre de la société Colas, de nature à engager sa responsabilité contractuelle nonobstant la forclusion décennale, n'était pas établie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen en ce qu'il est dirigé contre la société BETHAC :
Vu l' article 2270-1 du code civil et l'article 2270-2, devenu l' article 1792-4-2 du même code ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande formée par le syndicat contre la société BETHAC, l'arrêt retient qu'en application de l' article 1792-4-2 du code civil issu de l' ordonnance du 8 juin 2005 applicable immédiatement aux instances en cours, l'action à l'encontre des sous-traitants se prescrit par dix ans à compter de la réception et que le syndicat qui ne démontre pas être à l'origine de l'assignation en référé aux fins d'expertise commune à la société BETHAC, ne justifie d'aucun acte interruptif dans les dix ans de la réception de l'ouvrage, l'assignation n'étant intervenue qu'en janvier 2005 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la réception était, à la date de l'introduction de l'instance, sans effet sur le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité formée par le syndicat contre le sous-traitant, la cour d'appel a violé les textes susvisés, par refus d'application du premier et fausse application du second ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit prescrite l'action du syndicat des copropriétaires du 12 rue Adolphe Yvon à Paris 75016 à l'encontre du bureau d'études BETHAC, l' arrêt rendu le 18 novembre 2009
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