Le point de vue de Pierre DOYEN sur la décision du Conseil constitutionnel refusant de prescrire en matière disciplinaire.
Les avocats, depuis temps biséculaire, sont accoutumés à vivre pour leur personne les principes généraux du droit, mais à l'envers !
A titre didactique, nous rappellerons par l'effet d'un heureux hasard le principe général de droit en lequel le contrat est la loi des parties, tel que défini par l'article 1103 du code civil en les termes suivants : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faits. »
Ce principe est valide pour tous les cocontractants, excepté si l'un d'eux partie à la convention est avocat de son état.
En pareille occurrence le juge se reconnaît de plano le pouvoir de réfaction du contrat, si le défendeur à l'action est avocat.
C'est le cas du client de l'avocat qui a payé les honoraires convenus pour la prestation de service souscrite, au sujet de laquelle contre son conseil il ne se plaint pourtant d'aucune défaillance, mais estime l'avoir trop payé. Il sollicite alors du juge, la condamnation de l'avocat à lui restituer le trop perçu.
Nous relevons d'emblée que ni les anciennes dispositions de l'article 1134 du civil ni leur reprise par l'article 1103 de ce même code, excluent de leur bénéfice le cocontractant avocat.
En l'espèce le juge fait application juridique de la maxime: « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus . »(1) mais à l'envers.
La loi ne distingue pas selon les cocontractants, mais le juge, lui, distingue qu'il y a un avocat et procède illico à une réfaction du contrat.
En matière de conflit d'honoraires entre l'avocat et son client, le législateur déclare comme juge du litige en première instance le bâtonnier, magnifique primus inter pares(2).
Quel litigant pourrait avoir pour juge un concurrent professionnel ? Et si tel était cas, trouverait-on anormal que ledit litigant récusât son juge, s'estimant fondé à suspecter son impartialité ?
Nous pourrions dresser un inventaire à la Prévert des principes fondamentaux du droit matériel aux bénéfices desquels l' avocat est exclu.
Au terme de notre exorde, nous n'étonnerons personne en alléguant que si l'avocat est exclu des principes du droit matériel, il l'est également de ceux du droit processuel.
Il existe deux catégories d'actions judiciaires d'une part, les actions civiles et d'autre part, les actions pénales.
Il y a un principe général de droit pour toutes ces actions. Pour les actions pénales, la prescription de principe est d'un an pour les contraventions, de six ans pour les délits et de vingt ans pour les crimes.
Pour certaines infractions particulières la loi fixe un autre délai.
C'est ainsi que pour le délit de diffamation la prescription est de trois mois. S'il s'agit d'une diffamation à caractère raciste le délai de prescription est d'un an.
En revanche les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles non pas par volonté du juge , mais par celle du législateur soi-même !
Le principe est la prescriptibilité des actions pénales, l'exception l'imprescriptibilité.
Pour les actions civiles il n'existe aucun texte déclarant par exception, certaines d'entre elles imprescriptibles. Alors pour le droit judiciaire privé, le principe, contrairement au droit processuel pénal pur et dur, est la prescriptibilité.
Il est difficile de se livrer à une critique du Conseil constitutionnel en sa décision n° 2018-738 du 11 octobre 2018, par laquelle il a rejeté le recours critiquant l'imprescriptibilité des actions disciplinaires contre les avocats .
Nul ne peut critiquer un juge, fût-il le Conseil constitutionnel, d'avoir bien répondu à une question qui lui fut mal posée !
Le requérant avait excipé de l’inconstitutionnalité pour inégalité devant la loi de l'action disciplinaire contre les avocats, par comparaison aux poursuites de même nature diligentées contre les autres professionnels de la science de Thémis. Pour les premiers le législateur ne mentionnait aucune prescription de l'action disciplinaire, alors que pour les seconds il s'est montré fort disert en la matière.
Nous remarquons en passant que si l'article 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne fixe aucun délai de prescription pour diligenter l'action disciplinaire, il ne dit pas que ladite action est imprescriptible.
Pour en revenir aux principes généraux du droit, l'action disciplinaire quel qu'en soit le querellé est prescriptible, faute de déclaration expresse contraire du législateur.
Nous avions tous appris sur les bancs de l'université que le droit disciplinaire était du droit civil. Au demeurant nous n'avions personnellement jamais tenu en notre créance, pareille assertion ex-cathedra.
Dans la pratique pour les principes processuels en droit disciplinaire, on applique le code de procédure civile et subsidiairement le code de procédure pénale.
Il nous faut rechercher le délai de prescription de l'action disciplinaire parmi les dispositions afférentes aux actions civiles ; pour lesquelles l'article 2224 du code Napoléon fixe la prescription de principe à cinq ans.
Dans la procédure disciplinaire, il ne fallait pas exciper de l'inégalité devant la loi comme si le législateur avait déclaré imprescriptible l'action disciplinaire. Si les faits poursuivis remontaient à plus de cinq ans, il fallait tout simplement invoquer l'article 2224 du code civil.
Le droit disciplinaire est le jus baculi (3) . Les actions en vertu de ce droit nous les qualifions actiones de jure baculi(4). Il ne faut jamais fournir au juge officiant de jure baculi, le baculum(5) par lequel à la faveur de la procédure, il lui sera loisible de vous fustiger.
* Des actions de droit du bâton. Au nominatif actiones ex jure baculi.
- La loi où la loi ne distingue pas, nous n'avons pas à distinguer.
- Signifie le premier parmi ses pairs. C'est une jolie formule qui nous vient tout droit du Moyen Age, par laquelle les avocats sont conviés à voir en leur porteur du bâton un égal, mais toutefois affublé d'un droit de préséance sur ses confrères !
- Le droit du bâton.
- Les actions de droit du bâton.
- Le bâton.
Ajouter un commentaire