Ceci est ma troisième chronique, ensuite de l'arrêt de renvoi par la chambre commerciale de la Cour de cassation, au Conseil constitutionnel d'une Q.P.C., initiée par le Tribunal de commerce de TOULOUSE, à trois branches (1) : les juges consulaires sont-ils indépendants, impartiaux et compétents ?
Dans les prolégomènes sur ces trois questions, j'ai déjà exposé le thème de qui ils sont et de ce qu'ils font.
Voici maintenant un deuxième thème. Celui de leur responsabilité. Enfin, de leur irresponsabilité personnelle.
La responsabilité des juges en général est un vaste sujet tabou dans la pratique.
Pourtant, la loi lui réserve un titre complet, le 4ème, dans le 1er livre du Code de l'organisation judiciaire. L'art. L.141-1 traite de la responsabilité de l'Etat dans le dysfonctionnement du service public de la justice.
L'art. L. 141-2 (rédaction modifiée par une loi du 20 décembre 2007) opère lui une distinction bien nette quant à la responsabilité des juges en raison de « leur faute personnelle ». D'une part, celle des magistrats de l'ordre judiciaire, réglée par leur statut organique.
D'autre part, celle des autres juges (donc celle des juges consulaires) réglée, elle, par des lois spéciales, ou, à défaut, par la prise à partie.
On ajoute dans le texte quels sont les cas de prise à partie (dol, fraude, concussion ou faute lourde, déni de justice). En ce cas l'Etat est civilement responsable en dommages-intérêts, sauf son propre recours.
Première observation, qui ne concerne pas les juges consulaires, la possibilité de prise à partie parait bien avoir disparu à l'encontre des juges du judiciaire. C'est apparemment une spécialité désormais réservée aux juges seuls non judiciaires, les consulaires, ceux des conseils de prudhommes.
Deuxième observation, lorsqu'on parle de responsabilité, c'est celle « personnelle », autrement dit celle d'un juge en particulier.
Ceci veut-il dire que lorsqu'une responsabilité est susceptible de découler d'une décision rendue collégialement, elle n'existe pas, en raison du secret du délibéré (qui doit être « religieusement » - sic- conservé par le juge judiciaire, c'est son serment).
Donc, la seule responsabilité ici envisagée, c'est contre le juge unique. On poursuit vous l'avez compris la progression dans l'entonnoir.
Donc, l'éventuelle responsabilité des juges n'existe en général que lorsqu'ils ont statué à juge unique. Parce qu'en ce cas, il n'y a pas de secret de délibéré et qu'on connait l'auteur.
Revenons aux juges consulaires.
On a beau chercher, à part la prise à partie dirigée contre un seul juge, puisqu'on a vu que la collégialité l'interdit de fait lorsqu'ils sont en groupe, il n'existe nulle part de texte de droit positif susceptible de la prévoir, en droit positif.
Le Code de l'organisation judiciaire renvoie au Code de commerce pour la matière, et en effet, il y existe un titre traitant de l'organisation et du fonctionnement du tribunal de commerce. Son chapitre quatre traite lui seulement de la discipline des juges des tribunaux de commerce.
L'art. 724-1 définit d'emblée le périmètre concerné : tout manquement à l'honneur, à probité, à la dignité et aux devoirs de la charge (j'adore cette formule qui ne veut strictement rien dire) constitue une faute, oui mais seulement une faute disciplinaire.
Donc, c'est bien au bénéfice du juge, lorsqu'on a pu déterminer qui il est (on rappelle qu'en matière collégiale, la question est évacuée par inexistence) une absence totale de responsabilité.
Je ne veux pas savoir ici ce qu'est le manquement à la discipline.
Je ne m'intéresse qu'à la sanction éventuelle de ce manquement.
Ce n'est vraiment pas grand-chose : un blâme, ou la déchéance.
En encore, mes amis, quelle usine à gaz (2) pour mettre en oeuvre la procédure disciplinaire...
Celui-ci est exercée en effet par une commission nationale présidée par un président de chambre à la Cour de cassation, comprenant en outre un conseiller d'Etat, deux conseillers de cours d'appel, quatre juges consulaires élus par l'ensemble des présidents tribunaux de commerce. On ne dit pas s'il s'agit uniquement des présidents en activité, ou aussi des anciens présidents. Et surtout ce qui se passe si « l'ensemble des présidents des tribunaux de commerce » oublient de désigner leurs quatre représentants.
Enfin, au terme d'un processus justement digne de la meilleure partie de la tuyauterie de l'usine à gaz, il est possible de suspendre, mais pas pour plus de six mois le juge consulaire contre qui pèsent des faits susceptibles d'entrainer la sanction.
Ne cherchez pas le recueil de jurisprudence de la commission disciplinaire. Il n'existe pas.
Quant à la jurisprudence sur la prise à partie, je n'ai trouvé qu'un seul arrêt de cassation, et je me dis que le juge consulaire du Tribunal de commerce de SAINT TROPEZ (aujourd'hui disparu) avait pulvérisé les records à ce qu'on lit.
Bref, vous m'avez compris, les juges consulaires ne sont pas plus responsables que les autres.
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(1) Vous avez remarqué, trois branches. Trois. Ah, ce chiffre trois ...
(2)Mes contradicteurs ont l'esprit si tordu, le reproche m'a été fait d'employer le terme d'usine à gaz je ne sais pas où, mais dans une situation identique, je précise qu'il n'a aucun rapport avec les chambres du même nom. C'est fou, non, le nombre de jobards dans notre profession.