J'entreprends ici une réflexion sur la question préalable de constitutionalité, telle qu'on peut désormais la poser au Conseil constitutionnel.
J'ai eu l'honneur d'y plaider récemment deux fois, la seconde dans l'affaire des juges consulaires. Dns ma plaidoirie (vidéo 241 sur le site du Conseil constitutionnel) , j'expliquais que j'étais fou, vraiment fou de soutenir la Q.P.C. suicidaire qui avait été posée. Je l'ai dit deux fois. Et en terminant, j'ai dit que je persistais dans ma folie. La suite démontre que je ne m'étais pas trompé.
La réflexion préalable sur la Q.P.C. doit être précédée d'une autre sur la folie.
Enfin, le mot « folie » est une accroche, un raccourci d'aisance. C'est en réalité une réflexion sur ce qui est considéré généralement dans telle société déterminée comme raisonnable et ne l'est pas.
Il y a des années, tel confrère aujourd'hui retraité, mon ami Albert R. (je ne mets plus que les initiales désormais), devenu juge de proximité, s'entretenait avec moi d'un dossier de divorce extraordinaire, que nous avions ensemble.
Il était pour l'épouse, moi pour le mari. L'un et l'autre étaient psychiatres. Aussi inconscients des problèmes l'un que l'autre.
On avait convenu d'un divorce amiable, et on ne parvenait pas à un arrangement sur les conséquences patrimoniales, même pas entre les époux, qui étaient d'accord, mais pas par rapport aux tiers.
Evidemment, les avocats que nous étions, savions ce qu'il fallait faire, ce qu'on pouvait obtenir. Nous connaissions les limites du jeu. Car dans la vie, la société et sa loi sont un jeu, avec un périmètre, une barrière, une clôture comme dans un champ, bien précis.
Et le confrère, qui venait de se faire « débarquer » comme moi par sa cliente, m'expliquait que finalement c'était normal.
« Bernard », me disait-il, « l'un et l'autres sont psychiatres, dont le métier est de comprendre pour les soigner ceux qui sont hors du périmètre, doivent eux-mêmes passer la barrière pour comprendre. Nous ne sommes pas toi et moi sur le même palier. Car, pour eux, il ne peut pas y avoir de barrière quelle qu'elle soit. »
C'était bien cela. La société et les lois de la société, sont dans des barrières. Quant à l'application des lois, les barrières étaient en France, jusqu'à il y a peu le Conseil d'Etat, et la Cour de cassation. Au dessus, il n'y avait plus rien.
Puis les choses ont commencé de changer un peu.
Avec beaucoup de difficultés et des réticences inouïes, la convention européenne des droits de l'homme, avec la Cour de Strasbourg, et dans une certaine mesure la Cour de justice de Luxembourg.
Pour la première, elle est encore hors la barrière : elle ne juge que de ce qui a été fait à l'intérieur de la barrière.
Pour la seconde, c'est différent, car la barrière des lois françaises n'est plus totalement fermée, dès lors que les textes communautaires européens leur sont supérieurs. Alors, les barrières de la toute-puissance du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation sont également enfoncées.
Il faut ainsi et désormais poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de Luxembourg, et tant le Conseil d'Etat que la Cour de cassation le font très régulièrement et très loyalement. Mais, vous avez compris, le point de vue final n'est plus celui de l'intérieur de la barrière.
Et plus les attaques des barrières sont nombreuses, plus elle faiblit ou plus exactement, elle recule.
Les fous sont en train de gagner.
(A suivre).