Je plaide devant un tribunal, qui a préalablement reçu mes longs mémoires distincts, détaillés, expliquant dans tous les sens possibles et imaginables et sous tous les tons, la matière, non pas une, mais deux Q.P.C.
J'y soulève des points fondamentaux de liberté, de droits de l'homme. Je rappelle les grands principes de 1789, puis ceux de 1946, bref le bloc de constitutionnalité de 1958, heureusement redécouvert voici quelques années.
L'histoire finira par reconnaitre que Sarkozy, injustement si décrié par ailleurs, qui seul a permis cela.
J'argumente, j'explique le pourquoi et le comment.
Je veux faire comprendre qu'à travers la Q.P.C., ceux qui ont parlé en son nom, ont dit quelque part que la France en avait assez de constater qu'au classement des Etats signataires de la convention européenne des droits de l'homme, elle se place encore deuxième, derrière la Turquie pour la sanction de leur violation.
Et tout d'un coup, je suis interrompu par le président, agacé : « ça suffit avec 1789, c'est trop long, au fait, maintenant... »
Je m'arrête un instant. Je fais un effort inoui sur moi pour éviter l'incident qu'on cherche à provoquer.
Dans ce moment, c'est seulement ici plus long, certes, c'est le même sentiment qu'on ressent - je l'ai connu- quand on est en l'air, projeté dans un grave accident de moto, et qu'on ne sait pas, dans ce si bref morceau de seconde, où on a plus que jamais sa totale lucidité, et où tout tourne à une vitesse incroyable, on ne sait pas comment on va retomber au sol.
Mal, on frappe la bordure en ciment, on est mort. Bien, on tape ailleurs, pas de grande casse.
La main de Dieu, merci à Lui, passe alors comme l'éclair. On se retrouve en vie.
Ici, on pense au tribunal révolutionnaire populaire qui va condamner à mort Louis XVI, malgré le vieux, sage et talentueux Malesherbes, qu'on finira par guillotiner lui aussi peu de temps après.
On pense à Berryer, qui n'est parvenu pas à sauver Ney.
On ne les connait pas tous, mais on sait qu'ils existent, tous ceux qui ont osé affronter les tribunaux des dictatures.
Et puis, le doigt divin peut être, on pense, je pense, à mon préféré, car lui, je l'ai un tout petit peu connu, modestement.
On pense et c'est pourquoi on est là, à Tixier-Vignancour, qui sauve la tète de Salan devant un tribunal spécialement composé de juges également occasionnels pour le condamner à mort.
Alors, on reprend son souffle, pour poursuivre aussi tranquillement qu'il est possible devant un président et des assesseurs dont l'espoir conduit l'avocat qu'on doit rester, sinon à quoi servirions nous, à imaginer qu'ils comprendront enfin, peut être.
On se dit à la fin qu'on n'est pas aux assises, où la Q.P.C. n'existe peut être pas pour cela justement, et qu'heureusement sans doute, la peine de mort y est abolie.
On n'est pas rassuré pour autant.