A la vérité, la question n’est pas nouvelle, et pour des raisons pratiques, elle est restée dans les tiroirs pendant plus de 200 ans.
En 1810, lorsque NAPOLEON 1er veut bien rétablir le barreau, il le fait avec circonspection et à PARIS pour commencer. En droit, le principe est qu’il existe uniquement ou presque des tribunaux civils, de première instance, et que toute la matière est de leur compétence. Il y a aussi certes des tribunaux de commerce, mais ils sont déjà considérés comme à part et il n’y existe pas de monopole de représentation. Ce qui n’y empêche pas l’existence d’un corps d’agréés, désignés par eux, mais à compétence intellectuelle réduite et locale.
Pour le surplus, l’essentiel, les tribunaux civils, ils deviendront beaucoup plus tard les tribunaux de grande instance, la représentation s’y fait par les avoués. Dans cette organisation militaire, il y a donc un corps d’avoués par tribunal. Collé aux juges professionnels. Qui a même on l’a oublié, un droit de regard sur la nomination desdits avoués. Ils ne sont pas libres.
Dans cette organisation de représentation par les juges ou sous leur strict contrôle, les avocats, hommes libres –en principe- par excellence ne sont pas obligatoires, ce sont des bavards, qui peuvent certes s’exprimer, mais la procédure est écrite.
Et puis, les décennies passent. Progressivement, cette architecture n’a plus de sens : les avocats sont omni présents, infiniment plus compétents intellectuellement, les agréés, à la robe à parement rouge si je me souviens bien – je suis un dinosaure- sont une plaisanterie (sauf à Paris où ils constituent ce qui deviendra plus tard et est encore le noyau informel et sans statut des mandataires), d’ailleurs il n’y en a pas partout (il n’y a n’a jamais eu à Marseille). Bref, on unifie tout il y a un peu plus de 40 ans.
Localement, c’est facile, puisque le contact avocat nouveau – juridiction existe déjà, mais comme on n’a pas les techniques d’organiser une communication à distance avec les cours d’appel, on ne touche pas aux avoués d’appel. Ils ont provisoirement gagné. Feue Yvette LOBIN qui m’a si mal enseigné le droit judiciaire privé dans le temps à la Faculté de droit d’AIX se flattait d’y avoir été pour quelque chose : ça ne m’étonnerait pas.
Et puis, plus rien ne s’est passé pendant plus de 40 ans. Les avoués d’appel sont restés et ont grassement prospéré.
Je me souviens d’un entretien que j’avais eu à la fin des années 70 avec le premier président de la Cour d’appel de Bastia, dont j’ai malheureusement oublié le nom. En ce temps heureux, les portes des premiers présidents et des procureurs généraux étaient assez largement ouvertes aux avocats.
Comme je plaidais en Corse et qu’il m’avait reconnu dans la galerie du premier étage, le premier président, ancien magistrat à Marseille, où je l’avais connu, m’avait invité à venir bavarder un moment dans son bureau. Comme il savait mon intérêt pour la chose organique, nous avions parlé de l’échec de la suppression des avoués d’appel. Son analyse était d’une lucidité totale et je ne parle pas de clairvoyance. Il m'avait dit, nous n’y sommes pas parvenus à cause de la seule question de la communication matérielle à distance. Mais un jour viendra où les progrès de l’informatique feront revoir la question.
Il avait bien raison.
Il aura fallu bien longtemps après, les esprits fonctionnent lentement dans la justice et autour, il aura fallu le P.C. (sans F.), Windows, Word, le traitement de texte, et Internet pour revoir la question. Sans compter qu’il fallait s’incliner devant la directive services du bon Monsieur BOLKENSTEIN.
Alors, les mentalités ont enfin évolué, et les choses ont péniblement craqué. Je me souviens cependant de toutes les histoires qu’on m‘a faites[ et qu’on me fait encore ] lorsque j’ai été parmi les premiers à me battre à la fois pour la suppression des avoués et pour l’instauration du R.P.V.A. libre.
Accolée à l’obligation de faire appel à un professionnel du droit déterminé devant telle juridiction, si peu dans le temps les agréés, les avoués, devenus les avocats, il y a la notion de postulation. Matérielle (par la profession) ou locale (par la profession plus le lieu d’exercice).
Avec l’informatique et Internet, la seconde n’a plus aucune espèce de sens. Déjà, lorsqu’on a supprimé les avoués de première instance, on n’a conservé, en le gelant, leur tarif que provisoirement (c’est du provisoire français, le plus durable qui soit, il a quarante ans). Pour les avoués d’appel, on dirait bien qu’il n’y a plus de tarif obligatoire, encore que la chose ne soit pas bien claire et qu’il faille qu’un jour ou l’autre la Cour de cassation siffle la fin de la récréation.
“Plus aucune espèce de sens” signifie que l’avocat est désormais lisible par le juge partout en France, voire dans le monde, en temps réel.
Du coup, la question suivante doit se poser: mais à quoi sert donc le barreau local auquel doit appartenir chaque avocat.
Que l’avocat appartienne à une organisation professionnelle spécialisée, chargée notamment de garantir aux yeux des tiers ses qualités techniques, son assurance de risques, etc. Oui. Sans doute, mais localement, quel est le sens ?
Déjà les conseils des ordres n’ont plus aucun pouvoir normatif. Ils ne font qu’exécuter un règlement national.
Financièrement, les caisses qu’ils dirigent sont elles mêmes soumises à un règlement national et à une caisse centrale.
Leur mission n’est finalement que de surveiller l’accès à la profession localement et encore sous le contrôle du juge, et même plus d’organiser la discipline, puisque le pouvoir disciplinaire a été transféré au niveau de la cour d’appel. Avec les dérives qu’on déplore, du genre règlements de comptes entre confrères.
Lorsqu’il y a quelques mois, mon ami Philippe KRIKORIAN, qui est l’inventeur du Grand Barreau de France, unique, sans autre contrôle disciplinaire que celui constitutionnel, avions plaidé en audience solennelle de la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE la Q.P.C. de l’inconstitutionnalité des barreaux locaux, nous avons essayé d’ouvrir la discussion juridique. En soutenant que l’obligation pour un avocat d’appartenir à un barreau unique par tribunal de grande instance doit disparaitre.
Bien sur, notre Q.P.C. a été rejeté par des magistrats qui ont eu peur. Mais on ne peut avoir peur indéfiniment. Et la peur ne peut empêcher le monde de changer parce que les grandes idées continuent leur chemin.