Reprenons.
Il y maintenant 20 ans, un magistrat à la Cour de cassation, bien ancré à gauche, François COLCOMBET, et un avocat, Arnaud MONTEBOURG, défrayaient déjà la chronique avec leur ouvrage public (publié par l’Assemblée nationale, où ils étaient tous deux députés), « Une justice en faillite », dans lequel on ne parlait abondamment que des tribunaux de commerce. Sans compter les mandataires judiciaires.
Oh, leurs critiques vigoureuses n’étaient pas nouvelles.
Un célèbre commissaire de police marseillais du nom d’Antoine GAUDINO, désormais retiré des affaires, avait bien écrit auparavant un ouvrage détaillé et remarqué, qui fut un best-seller, sur qu’il appelait rien moins que « la mafia des tribunaux de commerce ».
Le temps politique a passé.
On est passé à autre chose.
C’était du provisoire, comme je l’avais expliqué un soir au Club du Vieux Port à un petit comité, qui avait finalement du regretter de m’avoir invité.
Il célébrait en effet la fin des projets COLCOMBET MONTEBOURG.
J’avais détonné, déjà en déclarant au président du moment du Tribunal de commerce de Marseille, Monsieur Alain BEUDON, pied noir comme moi, « attention ce n’est qu’un répit, vous verrez, ça repartira. Si vous voulez sauver l’institution, il faut changer. »
On ne m’avait pas cru. On n’a rien fait. BEUDON est mort.
En fait, tout restait en attente.
Et la Q.P.C. de mes amis les frères RAMIREZ au Conseil constitutionnel au début de l’année 2012, posée par l’incroyable et génial François DANGLEHANT, auprès de qui Georges BERLIOZ et moi-même avons eu le grand honneur et la grande fierté de plaider le thème de la discipline des juges consulaires, n’était que l’avant-garde d’une offensive d’envergure, celle que nous avons maintenant.
Inlassablement, mais personne ne m’écoute, inlassablement, j’essaie d’expliquer qu’il reste toujours quelque chose du passage d’une Q.P.C. au Conseil constitutionnel, même s’il ne l’a pas retenue.
Après avoir passé des obstacles inouïs et subi des tirs de barrage, avec les pesanteurs sociologiques des juges qui ne veulent surtout pas qu’on touche quoi que ce soit, on n’arrive pas rue de Montpensier en racontant des salades et les mains dans les poches.
Les membres de cette juridiction exceptionnelle sont eux-mêmes exceptionnels.
Ils pensent, ils parlent, ils écrivent, ils téléphonent. Il reste toujours quelque chose souvent une chose énorme de ce qu’on a plaidé devant eux, y compris lorsqu’ils ont été convaincus, mais n’ont pu rien faire devant l’énormité du sujet posé et de la tâche à entreprendre pour ramener l’ordre républicain et constitutionnel.
Le président Jean-Louis DEBRé ne s’en est jamais caché : c’est tout à son grand honneur.
Pendant ce temps, certains continuaient tranquillement à profiter des avantages financiers scandaleux et inadmissibles pour les greffiers des tribunaux de commerce, pourtant dénoncés dans le premier rapport de Jacques ATTALI en 2007 ou 2008. Là encore, les mêmes ont fait les beaux en se moquant d’ATTALI, oubliant que son rapport a été le fruit d’un travail collectif avec des intervenants d’une qualité unique. L’intelligence.
Quant aux magistrats consulaires, président prétentieux de leur association nationale en tête, ils se drapaient encore dans leur dignité. On a bien essayé de leur expliquer en termes très vifs, trop vifs, non, finalement le mot « con » est désormais banal, même à la Cour européenne des droits de l’homme, qu’ils travaillaient contre leurs propres intérêts, en ne faisant pas le ménage chez eux.
Car, pour la plupart, ils travaillent tous gratuitement de surcroit, il n’y a rien à dire.
Mais, cette prétention à ne pas dire publiquement qui ils sont, ce qu’ils font, quels sont leurs intérêts personnels et professionnels, brefs à cultiver le mystère, alors qu’ils devraient être en verre, a conduit le pouvoir à remettre l’affaire sur le tapis.
En plusieurs décisions d’inconstitutionnalité, notamment dans la matière si sensible des procédures collectives, le Conseil constitutionnel a eu beau les rappeler à l’ordre plusieurs fois à propos de leur indépendance. Rien n’y a fait.
Ils sont, enfin leurs représentants nationaux, sont comme les exilés de l’an II, au retour, rien compris, rien appris.
Que dire aussi du rapport de l’Inspection générale des finances, dénonçant avec raison les monstruosités des professions réglementées (oh la la, pas les avocats, pauvres bougres, mais d’autres, en tête desquels les greffiers des tribunaux de commerce).
Ce rapport, on a réussi à le planquer un temps, mais il a bien fini pas sortir, au demeurant en dessous de la vérité, au moment où, écœuré, MONTEBOURG partait, aussi pour conter fleurette et lui aussi, compter, faire des affaires.
Et alors est venu, ce n’est pas un hasard, la Q.P.C. THIOLLET sur les notaires.
Le non hasard n’est pas la Q.P.C., le thème était dans l’air du temps. Le non hasard a été sans doute le ras le bol des hauts magistrats du Conseil d’Etat, eux qui venaient de rédiger la loi mettant fin, mais bientôt, au scandale des taxis. Autre idée du premier rapport ATTALI.
A partir de là, la discussion a été lancée.
On ne pourra plus l’arrêter, quel que soit par exemple le sort de ma Q.P.C. sur les greffiers des tribunaux de commerce, que traitera prochainement déjà le Conseil d’Etat.
Au final, c’est quand qu’on comprendra enfin que l’exception française n’est plus soutenable dans l’Union européenne.
Nous restons provisoirement le seul Etat européen à avoir des tribunaux de commerce (je crois bien que les Espagnols qui en ont eu le projet l’ont finalement abandonné) avec de surcroit cette chose inouïe digne d’un Moyen Age de combines, et encore, de richissimes greffiers privés, verrouillant l’accès à la justice consulaire. Et, désolé, c’est cru, s’en mettant plein les poches en exploitant un monopole strictement inconstitutionnel.