J’étais cet après-midi aux obsèques d’une consœur, pour qui je n’avais pas spécialement d’amitié. Mais comme c’était aujourd’hui aussi mon anniversaire, et qu’elle était presque camarade de promotion, il y a plus de quarante ans, je me suis senti obligé d’aller à l’église.
Nous avons eu droit aux discours habituels, desquels j’ai évidemment remarqué celui du bâtonnier du moment.
On va maintenant laisser la sympathique consœur en paix, dans l’au-delà que nous promet la religion, s’il existe vraiment.
Non, je veux revenir au discours du bâtonnier.
Qui a été très authentique. Il est allé chercher dans le passé professionnel de la consœur, n’a rien trouvé que de jolies choses. Une seule même, un mini incident justement à propos de sa tenue. Quant au reste, elle s’habillait bien, était toujours polie, et elle était une gentille avocate.
Point.
Tout cela est vrai, encore une fois, archi vrai. C’est tellement vrai que le bâtonnier ne s’en est même pas rendu compte, et il n’a surement pas déclaré que la profession avait perdu un grand confrère.
Car, putain, mais est –ce cela une vie d’avocat ?
Quoi, jamais le moindre coup de gueule, la moindre sortie, la moindre manifestation de colère ou/et de courage à la fois. La moindre révolte.
La marque d’une compétence quelconque et si possible exceptionnelle.
Finalement, parce que nous sommes là pour cela, la défense du client, qui dépasse largement la tenue vestimentaire et les gentillesses molles.
Enfin, un avocat, ce doit être un prince, non un battant, le général qui combat pour gagner le procès de son client ou sa thèse. Sur le champ de bataille de la justice.
Quelqu’un qui se remarque par autre chose que, justement, ne pas se faire remarquer, et rester dans le rang, bien rangé, rien qui dépasse.
Qui combat l’injustice, aussi y compris dans les rangs de sa profession, contre les roitelets qui prétendent la gouverner.
Contre les combines, les arrangements de copains, de classes, de castes, de loges, j’en passe et des pires.
Sous la réserve précédente quant à l’au-delà de la mort, je ne serai pas là pour entendre les éventuels discours qu’on prononcera à mes obsèques.
J’ignore même si on trouvera un bâtonnier pour parler de moi.
Je m’en fous, car il se trouvera toujours un confrère ami, lui, pour parler.
Et qui dira, en résumé, quel emmerdeur ce Kuchukian, mais bordel, quel avocat c'était aussi !
Il nous manquera.