La Cour de cassation vient de rendre un arrêt dans une affaire qui a déjà été abondamment commentée, opposant un Magistrat au ministre de l'intérieur.
Un prévenu, poursuivi pur diffamation, est présumé être de mauvaise foi.
Classiquement, quatre éléments doivent être réunis pour renverser cette présomption et accorder le bénéfice de la bonne foi : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que le sérieux ou la qualité de l’enquête.
Si ces éléments sont réunis, le prévenu pourra être relaxé.
Mais qu’est-ce que le sérieux de l’enquête ?
Le prévenu doit-il démontrer que son enquête a prouvé la véracité des faits dénoncés ?
Non, répond la Cour de cassation.
Cour de cassation - Chambre criminelle - Arrêt de cassation n° 2939 du 17 juin 2008 - 07-80.767
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le ministre de l'intérieur a porté plainte notamment du chef de diffamation publique envers la police nationale, sur le fondement de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication, sous l'égide du Syndicat de la magistrature, d'un fascicule rédigé par Clément X..., magistrat, et l'intitulé "Vos papiers ! Que faire face à la police", incriminé en raison du passage suivant : "les contrôles d'identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient" ; que Clément X... a été renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel ; que les juges du premier degré ont relaxé le prévenu au bénéfice de la bonne foi ; qu' appel a été relevé de cette décision par le ministère public ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
(…)
Mais, sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 alinéa 1er, 30, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Clément X... coupable de complicité de diffamation publique envers une administration publique, en rejetant l'exception de bonne foi ;
(…)
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ;
Attendu que, pour écarter le bénéfice de la bonne foi et dire la prévention établie, l'arrêt, après avoir admis que l'auteur de l'ouvrage poursuivait un but légitime en informant les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et des droits des citoyens en cette matière, et qu'aucune animosité personnelle à l'égard de la police nationale n'était démontrée, retient que "les éléments versés aux débats par Michel S... et Clément X..., s'ils illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identité, n'établissent pas pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoires en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément X... lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffrer" ; que les juges ajoutent que les pièces produites "n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé" ;
Mais attendu qu'en subordonnant le sérieux de l'enquête à la preuve de la vérité des faits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et pour les curieux, la couverture litigieuse est ici.