Dans un arrêt du 21 juin 2017, la chambre sociale de la Cour de Cassation a jugé notamment que la prise d’acte justifiée, d’un salarié protégé postérieurement aux manquements reprochés à l’employeur, produit les effets d’un licenciement nul.
1) En l’espèce, la protection d’un salarié protégé postérieure aux manquements de l’employeur n’empêche pas une prise d’acte justifiée de produire les effets d’un licenciement nul
Dans cette affaire, il s’agissait d’un vendeur automobile de la société Pigeon occasion, qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 22 mars 2013.
Ce dernier avait réclamé, dans une lettre du 5 juillet 2012, le paiement des heures de travail accomplies et non rémunérées par son employeur entre le 26 mars 2007 (date d’embauche) et le 5 juillet 2012. N’ayant obtenu aucune réponse, il a pris acte de la rupture.
Le 20 décembre 2012, il a été élu délégué du personnel, antérieurement donc à la période de non-paiement des heures supplémentaires par son employeur.
Ainsi, il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de la prise d’acte en licenciement nul.
Dans son arrêt du 1er décembre 2016, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé que la prise d’acte du salarié produisait les effets d’un licenciement nul. Elle a également condamné l’employeur à verser au salarié une somme à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur correspondant à 44 mois de salaire (environ 3ans et demi).
La société Pigeon occasion s’est pourvue en cassation.
La société contestait notamment que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul, étant donné qu’au cours de la période litigeuse, le salarié n’avait pas de mandat.
A titre subsidiaire, elle contestait le montant de l’indemnité pour violation du statut protecteur.
La chambre sociale devait trancher les points suivants :
Est-ce que la prise d’acte d’un salarié protégé postérieurement aux manquements reprochés à l’employeur peut produire les effets d’un licenciement nul ? L’indemnité pour violation du statut protecteur est-elle plafonnée ?La Cour de Cassation répond par l’affirmative à la première question, et rejette le pourvoi de l’employeur sur ce point. En effet, elle considère que « le défaut de paiement des heures supplémentaires effectuées pendant les cinq années précédant la rupture était d’une gravité telle qu’il empêchait la poursuite du contrat de travail, la Cour d’appel en a exactement déduit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié devait produire les effets d’un licenciement nul ; que le moyen n’est pas fondé. ».
En revanche, la Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa des articles L.2411-5 et L.2314-27 du code du travail. Elle précise dans son attendu de principe que « le délégué du personnel dont la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul lorsque les faits invoqués la justifiaient, a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection, dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois. ».
Or, la Cour d’appel avait condamné la société à verser une indemnité correspondant à environ 3 ans et demi. La cour de cassation casse donc l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point.
2) Explications : le régime de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par un salarié protégé
Pour rappel, lorsqu’un employeur privé ne respecte pas les dispositions légales, conventionnelles ou celles prévues par le contrat de travail, le salarié peut engager une procédure afin de demander au juge la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail des salariés dans le code du travail.
Plusieurs décisions jurisprudentielles de la Cour de Cassation ont permis de clarifier le régime de la prise d’acte. Ainsi, elle produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, les effets d’une démission. La prise d’acte entraine donc coûte que coûte la cessation immédiate du contrat de travail, et le salarié n’est pas obligé d’effectué un préavis.
Pour déterminer les effets à attribuer à la prise d’acte, les juridictions doivent apprécier le comportement fautif de l’employeur, caractérisé par des manquements graves à ses obligations.
De manière constante, la Cour de Cassation considère que le fait pour l’employeur de ne pas rémunérer l’intégralité des heures de travail effectuées par le salarié, et/ou, de ne pas rémunérer les heures supplémentaires caractérise un manquement suffisamment grave pour justifier la prise d’acte (Cass. soc., 4 juin 2008, n°07-42878).
Il convient de remarquer que ce n’est que depuis un arrêt de 2006 que la Cour de Cassation a clairement reconnu le droit pour les salariés protégés d’utiliser la prise d’acte (Cass. soc., 5 juillet 2006, n°04-46009). Dès lors, elle a affirmé dans l’arrêt précité de 2006 que « lorsqu’un salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d’une démission ».
Le salarié percevra ainsi une indemnité au titre du licenciement nul, comprenant une indemnité de préavis et une indemnité réparant intégralement le préjudicie lié au caractère illicite de la rupture (au minimum 6 mois de salaire). L’employeur sera également condamné à verser une indemnité au titre de la rupture du contrat de travail, et l’expiration de la période de protection (Cass. soc., 10 mai 2006, n°04-40901).
Source Légifrance
Cass. soc., 21 juin 2017, n°17-11227
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000035004263
Maître Frédéric Chhum
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