Dans La Semaine Juridique Edition Générale n° 29, 21 Juillet 2014, 840 sous le titre« Procédure orale classique : vers un abandon du régime prétorien de l'écrit ? » vous lirez une Note rédigée par Corinne Bléry maître de conférences-HDR, coresponsable du master 2 Contentieux privé, faculté de droit, université de Caen Basse-Normandie et Jean-Paul Teboul
chargé d'enseignement, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Il vous est exposé que « le 15 mai 2014, la deuxième chambre civile a rendu un arrêt important qui semble revenir sur la construction jurisprudentielle du régime de l'écrit en procédure orale, probablement sous l'influence de la définition, par les deux alinéas de l'article 446-1 du Code de procédure civile, des deux voies que peut aujourd'hui emprunter l'oralité. En affirmant que lorsque la procédure est orale « seules les conclusions écrites, réitérées verbalement à l'audience des débats, saisissent valablement le juge », cette décision semble inciter les plaideurs, pour échapper à la rigueur de l'oralité, àadopter pour la procédure orale avec un écrit principal. »
Autant la première partie de ce commentaire est totalement conforme au contenu de l’arrêt repris dans l’article et ci-dessous, en confirmation d’une jurisprudence constante pour être d’ailleurs l’application du C.P.C., autant la seconde partie dudit commentaire ,ci-dessus en italique pour la distinguer, ne me parait pas trouver le moindre fondement dans cette décision :
Cass. 2e civ., 15 mai 2014, n° 12-27.035, FP P+B : JurisData n° 2014-009721
LA COUR - (...)
Sur le moyen unique :
o Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Paris, pôle 6, ch. 12, 6 sept. 2012, n° 11/12896), que M. P., agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. Z., expert-comptable, a demandé à une juridiction de sécurité sociale la désignation d'un expert afin de donner son avis sur la déclaration de créance de l'URSSAF de Paris et de la région parisienne au titre de cotisations impayées ;
o Attendu que M. P. fait grief à l'arrêt de le déclarer mal fondé en son appel, alors, selon le moyen (...)
o Mais attendu, d'une part, que selon les articles 440 et 446-3 du Code de procédure civile, le président dirige les débats et peut inviter, à tout moment, les parties à fournir les explications de fait et de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige ; que, d'autre part, la procédure sans représentation obligatoire applicable au contentieux général de la sécurité sociale étant orale, seules les conclusions écrites, réitérées verbalement à l'audience des débats, saisissent valablement le juge ;
o Et attendu que l'arrêt relève que les parties ont été régulièrement convoquées pour l'audience du 7 juin 2012 ; que le conseil de M. P., présent lors de l'appel des causes, a souhaité déposer son dossier, ce qui lui a été refusé par la cour d'appel, la partie adverse ayant souhaité développer oralement ses écritures ; qu'il a quitté les lieux après avoir remis son dossier au greffier d'audience ; qu'à l'appel du dossier pour plaidoiries, l'URSSAF, seule présente, a sollicité la confirmation du jugement ;
o Que de ces constatations, la cour d'appel a exactement déduit que, faute d'avoir été dispensé de soutenir oralement lors des débats ses conclusions écrites, M. P. ne l'avait pas régulièrement saisie de ses moyens et critiques à l'encontre du jugement déféré ;
o D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
o Rejette le pourvoi (...)
Mmes Flise, prés., Olivier, cons.-rapp., MM. Héderer, cons. doyen, Laurans, Breillat, Prétot, Cadiot, Liénard, Pimoulle, Mmes Aldigé, Bardy, Robineau, Nicolle, cons., Lazerges, Chauchis, M. Vasseur, cons.-réf., Mme Lapasset, av. gén. réf. ; Me Haas, av.
Cet arrêt rappelle que le décret du 1er Octobre 2010, qui bien entendu est incorporé dans le C.P.C, affirme l’oralité des débats devant la juridiction concernée, et que dans des cas particuliers spécifiés et par exception à l’oralité des débats, les parties sont autorisées à notifier des écritures , et que la juridiction peut avec l’accord des parties autoriser celle-ci à déposer leur dossier sans plaider.
C’est tout. J’ai déjà, notamment pour la procédure devant le tribunal de commerce sur ce blog et dans la Gazette du Palais N°56 à 60 des vendredi 28 février/samedi 1er Mars 2014, répondu aux questions « quand pourrons-nous notifier au tribunal de commerce des messages par « RPVATC » et lesquels ? » en fiasant une lecture article après article du CPC des dispositions applicables.
Concrètement et en pratique : lorsque que le Juge Chargé d’Instruire l’Affaire établit un calendrier de procédure et fixe les modalités d’échange des écritures et des pièces.
C’est le seul apport du décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 concernant la procédure commerciale par exemple.
Ce qui devient sous la plume tenue à quatre mains des auteurs une savante distinction entre une « procédure orale classique » et « une procédure moderne »
Ce qui se traduit dans leur commentaire d’arrêt par :
« Aujourd'hui l'oralité peut emprunter deux voies : la première voie est une procédure orale classique avec un écrit qui ne serait qu'accessoire à la présentation orale, à l'audience, des prétentions et moyens (CPC, art. 446-1, al. 1er), la seconde une procédure orale moderne avec un écrit qui primerait ladite présentation, cet écrit pouvant être qualifié de principal (CPC, art. 446-1, al. 2). »
Cela s’appelle de la dialectique.
Les auteurs militent pour une procédure écrite devant toutes les juridictions civiles de première instance, seul le TGI connaît a un régime de procédure écrite alors même que les audiences tenues du juge de la mise en état sont évidemment orales ce qui n’est pas le moindre paradoxe, de leur vison, mais passons...
Pour arriver à leurs fins les deux auteurs ont donc décidé de distinguer comme je l’ai écrit ci-dessus là où le décret réformant la procédure orale ne distingue rien du tout.
Il ne contient pas une « procédure orale classique » d’une « procédure orale moderne ».
Il affirme l’oralité des débats et de la procédure comme le principe, puis il donne au juge chargé d’instruire l’affaire lorsque cela lui parait utile et avec l’accord des parties la possibilité selon un calendrier contractuel notamment d’échanger leurs écritures selon des modalités qu’il fixe avec celles-ci. (Ce qui n'impose pas d'ailleurs l'usage du RPVA)
Il n’y a donc pas lieu de distinguer « classique et moderne » là où il ne s’agit par exception au principe réaffirmé de l’oralité que de modalités procédurales strictement définis spécifiquement.
Les auteurs en énonçant : « En effet, lorsqu'il y a dispense de présentation, les écrits ont une valeur indépendamment de toute réitération à l'oral et ont une date tout aussi indépendante de l'audience, ce qui résulte de l'article 446-4 : « la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre partie »…..mais omettent de rappeler dans quels cas il y a « dispense » et quand la notification des écrits par RPVA par exemple mais pas seulement, peut-être admise et donc régulière.
C'est une lacune indispensable sans laquelle la démonstration des auteurs tombe à l'eau sans faire de ronds.
Partant d’une forme de syllogisme irrégulier les auteurs développent leur imagination sur la portée qu’il donne à l’arrêt tout en constatant que leur thèse a été clairement rejetée. Ils procèdent en plusieurs temps :
« La Cour de cassation vient donc de rejeter l'argument selon lequel la simple comparution suffit à respecter le principe de l'oralité et d'affirmer que seule la réitération verbale des écrits à l'audience des débats saisit le juge.. »
Jusque-là tout le monde est certainement d’accord.
….« ce que laisse à penser un arrêt rendu le 18 juin 2014 par la troisième chambre civile qui statue dans le même sens (Cass. 3e civ., 18 juin 2014, n° 12-20.714 : JurisData n° 2014-014195) (que) - les praticiens seront conduits à considérer avec beaucoup plus de prudence les diverses décisions qui ont forgé le régime de l'écrit en procédure orale. »
Effectivement, et pour le moins !
« …..Si « seules les conclusions écrites, réitérées verbalement à l'audience des débats, saisissent valablement le juge », peut-on continuer de considérer qu'un écrit non soutenu dans ces conditions puisse encore constituer une diligence interruptive de préemption comme cela fut jugé (V. par ex., Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-46.319 : JurisData n° 2005-027474 ; Bull. civ. 2005, V, n° 82) ? »
La réponse est bien évidemment non, sauf dans les cas où les écritures sont notifiées régulièrement c’est-à-dire avec l’autorisation du juge chargé d’instruire l’affaire, et, à la condition que les parties soient dispensées de plaider leur procès et autorisées à déposer leur dossier....ce qui méritait d'être dit.
« Demeure-t-elle valable l'affirmation de la 2e chambre civile selon laquelle « le désistement écrit du demandeur à l'instance avait immédiatement produit son effet extinctif » (Cass. 2e civ., 12 oct. 2006, n° 05-19.096 : JurisData n° 2006-035394 ; Bull. civ. 2006, II, n° 266 ; JCP G 2006, act. 505) ?
Dans cette affaire, la 2e chambre civile cassait l'arrêt d'appel confirmatif qui soutenait que « la lettre (...) adressée par M. X au greffe du tribunal d'instance ne saurait constituer un acte de désistement valable puisque l'oralité de la procédure impose à la partie de comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement ses prétentions et en justifier, que les conclusions adressées au juge par une partie qui ne comparait pas ou n'est pas représentée ne sont pas recevables et que le juge d'instance n'avait pas à tenir compte de la lettre adressée au greffe par M. X dès lors que le défendeur formulait une demande reconventionnelle »
A mon sens cette jurisprudence reste applicable sans restriction et conforme au décret du 1er Octobre 2010.
« Que penser dorénavant de cet arrêt du 9 avril 2009 (Cass. 2e civ., 9 avr. 2009, n° 07-44.389 : JurisData n° 2009-047771 ; Bull. civ. 2009, II, n° 97) à l'occasion duquel une partie ni comparante ni représentée avait vu ses écrits considérés par la Haute juridiction produire pleinement effet et saisir le juge ?
Ici les circonstances, rappelées par la Cour, étaient les suivantes : « attendu (...) [que l'appelante] a déposé des écritures qu'elle a reprises oralement à l'audience des débats du 17 janvier 2007 ; que par arrêt avant dire droit du 26 mars 2007, la cour d'appel a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 30 mai suivant ; qu'à cette date, la société n'était ni comparante ni représentée ». Confrontée à cette situation la cour d'appel, par une analyse a priori orthodoxe, a jugé que « la procédure sans représentation obligatoire est une procédure orale et que l'envoi de conclusions écrites ne supplée pas le défaut de comparution et retient que si l'appelant n'est ni comparant ni représenté devant la cour d'appel, celle-ci n'est saisie d'aucun moyen d'appel ». Mais la cassation est intervenue au motif que « des écritures avaient été déposées par l'appelante puis reprises oralement à l'audience des débats du 17 janvier 2007, de sorte qu'elle [la cour d'appel] en demeurait saisie » à l'audience du 30 mai suivant à laquelle, rappelons-le, l'appelante n'avait ni comparu ni ne s'était faite représenter (V. aussi Cass. 2e civ., 6 déc. 2012, n° 10-24.721 : JurisData n° 2012-028144 ; Bull. civ. 2012, II, n° 201). »
Je ne vois pas le problème : c'est bien l'application stricte du CPC. car il est clairement dit par la cour de cassation que "des écritures avaient été déposées (à la procédure ndlr) par l'appelante, et reprises oralement à l'audience des débats le 17 janvier 2007, de sorte que la cour d'appel en demeurait saisie...
« L'écrit serait-il aujourd'hui à ce point déclassé en procédure orale classique que ses effets, quels qu'ils soient, seront soumis à la parole de leur auteur, ou à la dispense éventuelle de la partie par le juge, « lors des débats », de soutenir oralement ses prétentions ? La généralité du principe affirmé ce 15 mai peut le laisser penser. »
Je conteste l’expression « procédure orale classique » qui revient à défaut de démonstration comme un leitmotiv .
il n’y a qu’une procédure orale avec des exceptions réglementées autorisant des notifications au lieu du dépôt des écritures à la barre.
L‘écrit n’y est pas déconsidéré. Il n’a jamais eu un autre statut que celui donné par la Cour de Cassation conformémément au C.P.C.
C’est un outil facilitant les débats. Plutôt que de dicter ses moyens, nous déposons et remettons copie à la barre un écrit, et pour faire une plaidoirie plus courte, nous pouvons nous y référer. Peu importe la modalité dépôt à la barre ou lorsque le CPC l'autorise la notfication de l'écrit. Elle a la même "valeur." Lorsqu'il y a notification régulière et donc autorisée, l'écrit doit être repris au moment de la plaidoirie sauf autorisation par le juge chargé de suivre la procédure de procéder par dépôt de dossier. C'est dans le code.
Et nous arrivons à la cerise sur le gâteau, tout ce qui a été écrit par les auteurs ne l’a été que pour justifier sans la démontrer leur "lecture" du C.P.C ::
« L'arrêt semble inciter les plaideurs, pour échapper à la rigueur de l'oralité, à opter pour la procédure orale avec un écrit principal. Cette incitation à la prudence sera-t-elle confirmée par d'autres décisions ? À suivre ... »
L’arrêt ne dit rien de tel. Il suffit de le lire.
« Opter pour la procédure orale avec un écrit principal » ?
D’où ce jargon peut-il bien venir ? Où sommes-nous ?
Je ne peux que renvoyer à mes explications ci-dessus et antérieures....et à la lecture littérale du C.P.C.
L'avantage de celui-ci , c'est bien qu'il ne s'inteprète pas a contrario ou a fortiori, ni en affirmant que ce qui n'est pas interdit est autorisé. Ce n'est pas un code pénal ou un pot-au-noir comme le Code du Travail. Il se comprend et s'applique comme il est écrit.
Comme les auteurs ont mis deux ans pour rédiger la réforme il conviendrait de prendre le temps de le lire et enfin de l'appliquer.
"A suivre" ?
Je ne vois pas ce que la Cour de Cassation a à ajouter qu'elle n'a pas déjà réaffirmé.