Marine Le Pen, première décliniste de France, par Alain Duhamel
Par Alain Duhamel — 9 septembre 2015 à 18:56 (mis à jour à 18:56)
Face au flot de réfugiés, jamais la présidente du FN n’a été aussi brutale. Le ressort du parti, c’est encore et toujours la xénophobie et le nationalisme.
La réaction outragée de Marine Le Pen à l’idée que la France pourrait - modestement - remplir son devoir d’asile au bénéfice de 24 000 réfugiés du Moyen-Orient en deux ans constitue l’autoportrait le plus véridique de la présidente du FN. Que le pays des droits de l’homme annonce son intention de respecter ses engagements (le droit d’asile est à la fois un principe constitutionnel et un traité international) en prenant sa place, sans plus, dans une opération d’extrême urgence humanitaire, cela dépasse son entendement. Pour la figure dominante du nationalisme français, seul compte l’égoïsme sacré. Pas un centime de plus pour les étrangers, une larme pour les victimes d’exodes imposés, aucune émotion, compassion. L’étranger, c’est l’autre. Le demandeur d’asile, c’est un mendiant intempestif. L’immigré, c’est l’envahisseur et le musulman, le diable. Jamais Marine Le Pen n’a été aussi franche, aussi brutale, aussi elle-même que face à ces symboles désespérés de la tragédie humaine.
Cette dureté, cette insensibilité, cette inhumanité, même devant une photo d’enfant mort qui touchait au cœur le monde entier, ne sont pas une surprise. L’extrême droite n’est jamais passée pour un rassemblement de philanthropes ou d’âmes compatissantes. La famille Le Pen nous donne un spectacle qui tient plus des Atrides que des sœurs de la Charité. Les dirigeants du FN n’ignorent pas qu’une bonne moitié des Français traumatisés par la crise, à la recherche perpétuelle de boucs émissaires, partagent et soutiennent leur combat et en font même le drapeau d’un patriotisme dévoyé. La xénophobie n’est pas impopulaire et le nationalisme se porte mieux que la fraternité européenne ou que la solidarité internationale. Les mauvais sentiments renforcent l’extrême droite.
Reste que cet épisode cruel est aussi l’occasion d’utiles clarifications. Pour commencer, il démontre sans la moindre ambiguïté cette réalité que tant de commentateurs et de médias se refusaient à voir : Marine Le Pen ou Jean-Marie Le Pen, l’idéologie reste la même. Le ressort du FN, c’est la xénophobie et le nationalisme. Le discours de rentrée de la présidente du FN, dimanche, aurait pu être prononcé par son père, lequel s’en est d’ailleurs félicité. Tous ceux qui, par goût de la nouveauté ou par frivolité avaient cru à la dédiabolisation du FN ont été dupés. Florian Philippot peut bien badigeonner de pseudo-chevènementisme le programme économique de l’extrême droite, rien n’y fait. Le ressort du FN reste à jamais la xénophobie et le nationalisme, le rejet des autres et le culte de l’idéologie des frontières. Derrière des masques différents, Jean-Marie, Marine et Marion ont le même visage.
Ceci démontre que la tentative effrontée de confluence et de compatibilité entre l’extrême droite cléricale et la doctrine sociale de l’Eglise de France est indéfendable. Face au flotcroissant des réfugiés, l’épiscopat tente d’entrebâiller des portes que le FN cherche à barricader. Quant au pape François, il tient sur les demandeurs d’asile des propos qui réfutent et excluent la thématique de l’extrême droite. En ce sens, Marion Maréchal-Le Pen devient une antipapesse.
Au-delà de ces manœuvres obscures s’impose surtout et plus que jamais cette évidence : le FN, Marine Le Pen en tête, se fait une certaine idée de la France, une France rabougrie, racornie, rétrécie, une France sans générosité, sans ambition, sans influence, une France dépossédée d’elle-même et de tout ce qui a fait son histoire, son prestige, sa spécificité, une France défensive, peureusement repliée derrière d’imaginaires et inopérantes lignes Maginot. L’idéologie du FN, la doctrine de Marine Le Pen, c’est une France enfermée dans un XXe siècle mythique, cultivant la nostalgie et le désarroi, une France refusant le monde contemporain, crispée sur les totems d’un univers disparu, une France regardant la mondialisation comme une machine de guerre dressée contre l’Hexagone, une France préférant l’isolement, la solitude et l’impuissance à l’Europe, une France niant stérilement le monde réel pour s’accrocher en vain à une société engloutie, à un pays chimérique et vindicatif, égoïste et apeuré. Une France fascinée par la force et par la violence, attirée par tous les despotes en place, rejetant les valeurs historiques de la République. Le drame des demandeurs d’asile a confirmé que le FN est bien un antihumanisme et que Marine Le Pen s’installe et s’impose comme la première décliniste de France.
Alain Duhamel