S’agissant de l’aide juridictionnelle un protocole d’accord est intervenu entre la chancellerie et les représentants de la profession d’avocat.
Ce protocole prévoit simplement de ne pas taxer uniquement la profession d’avocat en effectuant des prélèvements sur les caisses de règlement des avocats, ce qui est bien le moins ne serait-ce d’ailleurs qu’au titre de la pause fiscale. (On ne ricane pas)
Ce protocole a prévu une réévaluation qui est en fait un rattrapage mettant les indemnités versées au niveau de 2007.
C’est tout.
Rien n’est réglé, en fait.
Un protocole d’accord n'a nulle valeur obligatoire et la réflexion annoncée sur la remise à plat du système peut apparaître comme une incantation, si l’on n’y prend garde.
Dans la Gazette du palais, le sympathique président marseillais de la conférence des bâtonniers déclare : « à court terme, nous demandons que l’État trouve les fonds nécessaires pour une revalorisation immédiate de l’indemnisation des avocats. À moyen terme, nous voulons que sous réflexion sur une réforme de fond de l’accès au droit et à la justice… ».
Le terme de moyen terme est étonnant.
Que veut-il dire ?
Un protocole d’accord intervient pour faire cesser un mouvement, mais c’est immédiatement que la négociation doit s’ouvrir pour la suite et il est du rôle de la représentation de la profession d’y veiller.
Si elle-même parle de moyen terme, cela paraît montrer comme une temporisation qui n’existe sûrement pas.
Mais, nous savons que les avocats du Nord, notamment continue un mouvement de protestation que relais avec régularité Jean-Yves Moyard, dit Maître Mô sur Twitter.
Il a de grandes oreilles, mais pas celle de la Chancellerie !
Peut-être dira-t-on que ça a un côté village gaulois, genre Astérix et les autres.
Mais les avocats du Nord ont le soutien de tous les avocats de base, comme dirait la ministre de la parole, Madame Taubira.
Le nombre d’avocats a augmenté de plus de 40 % en dix ans, induisant un débat sur la possibilité de la profession d’absorber ce nombre exponentiel.
Dans l’incessant déroulé des messages Twitter, celui d’un ancien président de l’ACE suggérant qu’il n’y avait pas trop d’avocats, mais inadaptation de ceux-ci au marché.
Pas les marchés des villages où la ménagère de plus de 50 ans s’en va acquérir ses choux et poireaux.
Mais l’adaptation à la réalité du monde économique.
Cela pose de multiples questions.
D’abord le taux d’augmentation est effectivement le même sur tout le territoire, semble-t-il.
Si l’on peut considérer un besoin de droit de la part des entreprises, la situation est différente selon les bassins d’activité.
Paris la toute belle n’est pas Marseille.
Les nouveaux marchés du droit que l’on peut imaginer seront peut-être réalité d’ici 10 ou 20 ans, mais en attendant, c’est la problématique des fins de mois qui est présente.
Car dans les territoires sinistrés, c’est de cela qu’il peut s’agir.
Mais, extrapolons.
Le rôle de l’avocat était, autrefois, de dire la parole de celui qui s’opposait et sa robe issue du clergé, ce rapport distancié à l’honoraire, autrefois banni, participait d’un temps où régnait la sacralité.
L’Avocat n’écrivait pas, il parlait.
Cela reste un peu dans les gènes de l’avocat judiciaire, dans sa façon de penser.
Mais le droit est aussi devenu une marchandise et l’Avocat dans le monde de l’entreprise (bientôt en) n’est pas tant celui qui s’oppose que celui qui facilite les décisions prises.
C’est un processus intellectuellement différent.
Quelque part la profession d’avocat est devenue un peu schizophrène.
Mais alors les marchés ?
On sait que l’entreprise aujourd’hui ne crée pas des objets dont le consommateur a besoin mais crée des objets dont elle va convaincre le consommateur qu’il en a besoin, même si ce n’est nullement le cas.
A-t-on besoin du dernier iPhone ?
Là où l’on parlait autrefois du verbe créateur, c’est aujourd’hui l’entreprise créatrice qui règne.
Si l’on prend l’industrie pharmaceutique, on doit constater que celle-ci va jusqu’à créer des maladies.
Le taux de cholestérol qu’il ne faut pas dépasser est la conséquence de la création de médicaments, pas la cause.
Il en est ainsi pour toutes sortes de nouvelles maladies.
Peut-être de la fameuse hyperactivité des enfants ; quel médicament ?
Le consommateur est malade parce que l’entreprise l’a décidé pour vendre son médicament.
Ne voit-on pas aujourd’hui Google s’intéresser à la santé et vouloir créer le diagnostic prédictif ?
Ça fait peur !
Alors l’avocat.
Il est permis de se poser la question de savoir s’il n’en est pas de même pour la profession d’avocat.
Bien sûr il y a les nécessités de l’évolution économique qui contraignent cette vieille dame que la profession à se bouger un peu les fesses dans son comportement ; c’est vrai.
Mais quel avocat veut le marché ?
On devine qu’il ne veut pas l’avocat d’antan, celui qui s’oppose.
Il veut celui qui met en forme ce qui a été décidé, l’exécutant.
Il peut vouloir aussi un avocat dévalorisé qui peut alors être utilisé, par exemple pour l’aide juridictionnelle au sein de structures dédiées qui pourraient satisfaire des intérêts financiers puissants.
Quand on dit que les avocats ne sont pas adaptés au marché, eux dont la culture restent marquée de la tradition sacramentelle, c’est-à-dire d’un rôle de la profession allant au-delà du matériel et de la marchandisation ; cela peut vouloir dire aussi qu’ils doivent renoncer à cela pour être simplement les exécutants fidèles du monde dit néolibéral, financier.
C’est la raison pour laquelle je préfère pour ma part dire que la question du nombre des avocats pose bien une difficulté car dans ce monde monétisé, l’avocat matériellement fragilisé est un adversaire affaibli qui aura du mal à s’opposer, à se révolter.
Mais on comprend que, pour ceux qui estiment que l’avocat ne doit être qu’un facteur économique, alors cette croissance exponentielle est une chance.
Pour le marché.
Tous les cinq ou six ans la question de l’aide juridictionnelle revient dans l’actualité et fait l’objet du même traitement qui s’apparente à ce geste ménager de dissimuler la poussière sous le tapis.
Derrière la question de l’aide juridictionnelle, se pose la question de l’accès au droit, et plus encore de l’accès du citoyen au juge indépendant, principe fondateur dans nos démocraties occidentales.
C’est la raison de fond pour laquelle existe l’aide juridictionnelle devant permettre aux citoyens démunis d’avoir accès au juge.
Et Madame Taubira était encore à Bruxelles pour rappeler les fortes exigences de la France à ce sujet.
Mais la réalité est différente.
D’abord il existe peut-être une idéologie libérale que l’on voit en action dans les négociations du traité TAFTA dans lesquelles les USA cherchent à imposer le recours à l’arbitrage privé pour les Etats quand ils sont en litige avec les entreprises.
L’arbitre privé que l’on rémunère plutôt que le juge indépendant gratuit.
On observera d’ailleurs le peu démocratique secret qui entoure ces négociations.
Curieusement, il en est un peu de même dans la préparation de cette justice du XXIe siècle que vante Madame Taubira.
Car s’il est vrai que la justice doit changer, s’il est vrai que son rituel est bien compassé, que le format du procès apparaît inadapté ; il est vrai aussi que plutôt que de chercher à rénover, à refonder, il est cherché à évacuer le juge.
Car quand le ministère vante les modes alternatifs de règlement des conflits, (MARD), il faut faire preuve de la plus grande prudence.
Bien sûr, encore une fois, le format du procès est désuet et chercher à privilégier une solution amiable est le préférable.
Ce que d’ailleurs la grande majorité des avocats ont toujours privilégié !
Mais il y a ici une double ambiguïté.
D’abord une question idéologique qui vise à chercher à restreindre le domaine d’intervention du juge indépendant pour le remplacer par une forme de contractualisation de la justice et par des professionnels différents.
Lesquels professionnels seront rémunérés par les parties, ce que l’on oublie aimablement de dire et ce qui explique combien ce mouvement rencontre l’adhésion de tous, de tous les lobbys, surtout.
Et bien sur l’adhésion de Bercy parce que dans les années à venir de nombreux magistrats vont partir à la retraite et que rien n’est prévu pour les remplacer.
Par ailleurs la justice est ruinée et il serait intéressant de savoir à ce jour combien de tribunaux n’ont plus de papier, ne paient plus l’électricité ou le téléphone.
Derrière, en conséquence ce mouvement se cache seulement une pure logique comptable.
La justice dite du XXIe siècle comporte sa part d’hypocrisie.
Alors me direz-vous, l’aide juridictionnelle ?
Il est difficile d’aborder ce thème parce qu’il y a une méconnaissance de la profession d’avocat et que celle-ci n’est pas populaire.
Quand les avocats manifestent, ce sont d’indécents nantis.
Il faut dire ici que dans sa grande majorité l’exercice professionnel des avocats reste l’exercice classique d’avocat de quartier, même s’il est vrai que la représentation nationale n’en tient pas comptes dans la mesure où la puissance financière est celle des grands cabinets d’affaires et dans la mesure aussi où le rêve d’une grande profession puissante se fait toujours sur la réalité des autres.
Il faut savoir que depuis 10 ans la profession d’avocat a augmenté en nombre de 40 %.
Il faut savoir que le chiffre d’affaires des cabinets a baissé, sauf erreur, de 2010 à 2014 d’environ 10 %.
Il y a cet égard une erreur de la gouvernance de la profession qui a pensé que l’augmentation du nombre des avocats générait une augmentation de chiffre d’affaires et renforçait la profession.
C’est pour partie une vue de l’esprit ; vous savez le gâteau qui n’augmente pas ou plutôt diminue et les invités qui ont très faim et sont de plus en plus nombreux.
Ce nombre accru des professionnels, leur jeunesse, devrait d’ailleurs être un facteur d’inquiétude pour ceux qui gouvernent la profession, syndicats y compris, dans la mesure où leur rôle parfois ambigu suscite la colère !
L’aide juridictionnelle pose manifestement problème parce que le montant accordé pour indemniser les professionnels du droit ne correspond pas à la réalité économique et qu’en revanche celle-ci est un appauvrissement des professionnels même.
Elle est accordée de manière administrative qui interroge.
Puisque l’argent est rare, n’est-il pas temps de jeter un regard sur l’assiette de cette aide et de la réserver aux domaines fondamentaux : logement, liberté, travail plutôt que de ne l’accorder qu’en raison des ressources et pas de la matière traitée ?
N’est-il pas temps aussi d’accorder une aide en laissant plus de liberté aux clients et à l’avocat, y compris d’un financement complémentaire ou libre ?
Il est certain en revanche que le système ne fonctionne absolument plus et chacun le sait.
Le fait qu’il y ait eu unité de la profession dans le dernier mouvement, encore en cours, est logique.
D’une part le ministère, dont le logiciel intellectuel est archaïque, dont on peut dire qu’il n’est pas géré puisque les démissions se succèdent et que quelque part Madame Taubira est le ministre de la parole plus que de la gestion, a prévu d’étendre le domaine de l’aide juridictionnelle et de relever le plafond permettant y avoir droit.
Comme d’habitude, c’est bon pour l’image.
Pour financer cela il était prévu un prélèvement sur les caisses de règlement des avocats qui sont des organismes permettant de financer également l’aide juridictionnelle, la formation, les consultations gratuites, etc.…
Organismes dont la profession pourrait avouer que dans certaines villes, ils sont déficitaires.
D’autre part il était prévu de baisser la rémunération des avocats.
Soyons clairs, les avocats ont l’habitude de se faire rouler par la Chancellerie.
Il y a de temps en temps un mouvement avec un protocole d’accord dans lequel la main sur le cœur la Chancellerie promet.
Ainsi en 2000, ainsi en 2007.
En 2007 un barème est réévalué, si je ne me trompe pas, barème qui n’a pas été réévalué depuis.
L’accord que viennent de prendre les organismes représentatifs de la profession avec la Chancellerie consiste à ne pas prélever sur des caisses fragilisées une somme qui n’a pas à l’être et à remettre l’indemnisation accordée au titre de l’aide juridictionnelle… au niveau de 2007.
Bel exploit ! Mais nécessaire.
Encore une fois, il ne faut pas oublier que les temps ont changé, que les avocats se sont multipliés et qu’on ne peut pas répéter à l’infini les mêmes replâtrages.
Rien n’est réglé !
Après chacun aura son opinion : fallait-il transiger ou pas avec la Chancellerie ?
Ce sont, dans l’avenir, les élections dans la profession d’avocats qui le diront, comme la pression quotidienne que ses représentants subiront, dont souvent les propos restent fondés sur une verticalité qui n’a plus grand sens, intellectuellement y compris.
Ce qui est certain, c’est qu’encore une fois, on a mis la poussière sous le tapis.
La seule question qui se pose est de savoir si dans les semaines et les mois qui viennent, enfin le ministère fera son travail, sans se contenter d’être soumis à Bercy et si les représentants de la profession d’avocat, eux aussi, feront le leur.
Car, voyez-vous, la question de l’accès du citoyen au juge indépendant est un marqueur de la démocratie.
Même si, en France, on préfère souvent l’administration au juge indépendant.
Mon Avocat au Canada
Et voyez-vous, je me demande si quelque part ce ne sont pas les avocats canadiens qui ont raison; le passé ne revient jamais et on a beau vouloir figer les choses,