Ecrire un article supplémentaire pour évoquer le rôle des avocats en matière de médiation ou de procédure participative, faire l’apologie des modes les alternatifs de règlement des différends ou répéter, à l’infini, que la médiation va se développer, me semble inutile.
Depuis plus de 20 ans, des avocats travaillent sur ces questions. Les premiers centres de médiation ont été créés par les ordres dans les années 2000. La Fédération Nationale des Centres de Médiation a vu le jour en 2002.
Les choses, néanmoins, en ce domaine, s’accélèrent et il convient d’en faire le bilan avant d’aborder l’essentiel, soit les propositions
Des centaines d’avocats ont suivi des formations, et certains ont toute qualification pour être médiateur. Toutefois, il n’y aucune politique professionnelle pour le développement de la médiation. Ils constatent, avec amertume, qu’il y a plus de littérature et de colloques que de mandats de médiations. Il y a encore nombre d’avocats qui doutent ou qui sont encore hostiles ou, au mieux, indifférents. La publication de très nombreux rapports officiels, la multiplication des articles consacrés à la médiation, la profusion de colloques consacrés aux modes alternatifs, n’ont pas fait avancer les mentalités. Nous sommes toujours dans une culture de l’affrontement, loin de celle du compromis.
Les avocats qui, pendant longtemps été quasiment seuls à promouvoir la médiation, ont vu apparaître, depuis quelques années, de puissantes associations regroupant travailleurs sociaux, psychologues et autres professions qui agissent et poussent leurs avantages auprès de l’État, les collectivités territoriales ou les magistrats. Elles développent une politique claire pour la médiation et en faveur de leurs membres.
Elle s’appuie sur certains rapports qui préconisent des solutions.
Ainsi, la Conférence des Premiers Présidents de Cour d’Appel a adopté une délibération le 31 mai 2013 à LA BAULE. Elle recommande le développement des modes alternatifs de règlement des conflits et spécialement de la médiation « qui deviendrait obligatoire et gratuite en matière sociale et familiale. Elle le serait aussi pour les conflits de voisinage et de petite consommation et en toute matière en deçà d’un seuil à définir. La médiation serait payante au-delà de ce seuil mais, en ce cas, éligible à l’aide juridictionnelle ou prise en charge par un régime d’assurances. En toutes hypothèses, les procédures alternatives constitueraient, dès lors, un préalable à l’action judiciaire imposée à peine d’irrecevabilité de la demande en justice ». Depuis cette délibération, d’autres rapports encore été publiés. Ainsi, en février 2014, les sénateurs Catherine TASCA et Michel MERCIER, ancien ministre de la justice, ont diffusé un rapport d’information sur la justice familiale qui consacre une cinquantaine de pages au développement des modes de règlements amiables des litiges familiaux. Les propositions sont nombreuses. Il est également question de la promotion de la convention de procédure participative qui, selon le Sénat, ne rencontre pas le succès escompté.
Dans le cadre du débat national sur les « juridictions du XXIème siècle » Monsieur DELMAS-GOYON, conseiller à la Cour de Cassation, a consacré quelques pages aux procédures négociées. Il estime qu’il convient d’encourager le processus de médiation. Il propose, notamment, de créer un diplôme d’Etat relatif à la médiation, renvoie la formation juridique aux Universités mais demande à ce qu’on y développe une culture de la médiation, souhaite la création d’un processus de règlement en ligne des litiges, veut rendre obligatoire la double convocation en matière familiale avec le développement de formulaires et de conventions, veut introduire la médiation comme un objectif qualitatif assigné aux chefs de juridictions avec la création d’indicateurs spécifiques. Il reprend en cela l’initiative de Madame la Commissaire Européenne à la Justice, Viviane REDING, qui a fait publier, chaque année, un tableau annuel reprenant, parmi les critères de qualité de la justice, le recours au mode alternatif de règlement des différends. Monsieur DELMAS-GOYON envisage une augmentation, dans une proportion à déterminer, de l’aide juridictionnelle accordée en matière de médiation. Toutefois cette augmentation est conditionnée aux engagements de disponibilité, de compétence et de formation aux procédures négociés par les avocats et les structures professionnelles d’avocats.
Le législateur a décidé de promouvoir certaines expérimentations (Tribunaux de Grande Instance de Bordeaux et d’Arras) en matière familiale aux fins de développer le processus de médiation, la rendre obligatoire et instaurer une irrecevabilité concernant les requêtes introduites sans médiation. Cela doit faire l’objet d’une évaluation en fin d’année 2014.
En Europe, les développements sont également importants. La Commission Européenne encourage le processus. La directive du 21 mai 2008 (2008 – 52 – C.E.) est censée promouvoir cet outil.
Le Parlement Européen et le Conseil ont promulgué la directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (21 mai 2013) visant à instaurer une entité indépendante pour régler les petits litiges (jusqu’à 12 000 €) de manière amiable et hors le circuit judiciaire. Dans de nombreux pays (Italie, Espagne, Angleterre…) des initiatives ont été prises pour la médiation. Cela fait dire à Monsieur Jean-Claude MAGENDIE que la France, en matière de médiation, est « à la traîne » et risque « fort d’être en retard d’une guerre ».
Il aurait pu citer les rapports développés et déposés par le Parlement européen (souvent malheureusement en anglais) indiquant que la médiation constitue, sur le plan financier, une avancée par rapport aux procédures. Ainsi le rapport évaluant la transposition de la directive de 2008 décrit l’ensemble des initiatives et insiste sur les avantages financiers de la médiation. Face à cette profusion d’initiatives, il est fondamental que les avocats se réveillent et prennent de nouvelles initiatives par l’intermédiaire de leurs gouvernants.
Quelles initiatives ? En premier lieu, il est impératif de développer, encore, une politique d’information et de formation des avocats.
L’accès à la justice est devenu un droit menacé. Les Etats multiplient les restrictions juridiques et financières. Les budgets consacrés à la Justice ou à l’aide juridictionnelle diminuent ou stagnent. En revanche, les frais de justice augmentent. Il est important que les avocats soient formés aux modes alternatifs de règlement des différends et notamment à la médiation, au droit collaboratif et à la procédure participative. Certes, le Conseil National des Barreaux et son observatoire ont publié un rapport important sur la médiation et les cabinets d’avocats, et commandé une étude essentielle à l’IPSOS sur le règlement des conflits dans les entreprises. Ces études insistent sur le fait que les dirigeants d’entreprises attendent des avocats une information sur les modes alternatifs de règlement des conflits.
Le Conseil National des Barreaux a décidé le promouvoir une mention de spécialisation MARD.
Toutefois, celle-ci rentrerait dans le cadre des deux seules spécialisations auxquelles les avocats auraient le droit. Souvent, les avocats qui ont suivi des formations pour être médiateurs ont déjà fait des spécialisations. Ils devraient donc renoncer à une spécialisation pour obtenir la nouvelle. Or, il s’agit d’une spécialisation de processus. Elle pourrait parfaitement s’ajouter aux deux spécialisations en droit substantiel que certains avocats ont déjà. Quoi qu’il en soit, il faut convaincre le Ministère de la Justice de la nécessité de créer cette spécialisation complémentaire. En effet, on ne peut viser au développement de la médiation si, par ailleurs, on empêche la spécialisation des avocats et surtout on empêche les avocats de se prévaloir d’une spécialisation.
Il faut également louer le travail de l’ancien Bâtonnier de Paris, Madame Christiane FERRAL-SCHUHL qui a créé, en 2013, pour son Barreau, une école de la médiation. Elle a porté, dans toute la France, une parole de promotion de la médiation, en décrétant « l’année de la médiation ».
Mais, cela ne peut pas suffire. La formation doit se développer de façon obligatoire dans les écoles des avocats. L’expérience de l’école de la médiation doit être reprise sur le plan national et déclinée régionalement et localement. Tous les Ordres doivent mettre à l’ordre du jour de la formation permanente les questions de procédure participative et droit collaboratif. Des modules doivent être établis sur le plan national et diffusés localement. La formation à l’assistance à la médiation est également fondamentale. Il ne s’agit pas de faire de tous les avocats des médiateurs. Il s’agit, en revanche, de leur permettre d’être utiles à leurs clients dans les processus de médiation ou de procédure participative. Il faut donc préparer le client. Il faut avoir une place dans la médiation qui ne sera pas celle de l’avocat plaidant habituelle. Il faut également avoir une formation à la négociation et à la rédaction des protocoles d’accord. Dans ce cadre, il faudra développer, comme outil, l’acte d’avocat et notamment l’acte d’avocat de procédure comme cela a été proposé par le Président du Tribunal de Grande instance de Pontoise.
Par ailleurs, il conviendrait, avec l’aide d’universitaires, de faire un travail essentiel de clarification. En effet, nous sommes aujourd’hui dans la confusion. La médiation pénale n’a strictement rien à voir avec la médiation. On confond conciliation et médiation. On voit apparaître des médiateurs désignés par des chefs d’entreprise pour régler les litiges avec leurs clients (« médiateurs maisons »), des médiateurs du crédit qui sont des agents de l’État, des médiateurs de rue…
Il n’y a aucune protection du titre de médiateur. Il n’y a aucune formation obligatoire. Il faudrait une véritable labellisation fondée sur une formation initiale et une formation continue. Et il serait indispensable de définir clairement la médiation et les autres modes alternatifs de règlement des différends.
La profession devra également lutter contre certaines dérives. En premier lieu, il ne faut plus évoquer un diplôme d’État en matière de médiation. Nous avons vu les méfaits du diplôme d’État en matière de médiation familiale. Ce n’était pas ce que le Conseil Consultatif qui avait été instauré et l’a proposé, avait souhaité. Il n’a jamais été question de le rendre obligatoire. Il n’a jamais songé à créer des jurys sélectifs dans lesquels, notamment, les avocats n’auraient aucune chance. Nous connaissons cette dérive. Nous ne voulons pas que cela se reproduise. Nous avons besoin de qualifications plutôt que de diplômes.
Il faudra refuser que le processus de médiation devienne une forme de gestion des flux dans les juridictions. Il ne s’agit pas de vider les placards des juridictions pour remplir celui des médiateurs. Cela n’aurait aucun sens. Chaque dossier de médiation doit être choisi en fonction de certains critères et de la situation d’espèce. Nous avons besoin du Juge pour trancher les questions de droit. Tout ne peut aller en médiation. Ce n’est pas un processus automatique.
En revanche, il est impératif de développer la procédure participative dans tous les domaines du droit.
Une autre dérive doit être dénoncée. Certains veulent créer une profession de médiateurs. La professionnalisation entraînerait nécessairement inacceptable. On reconnaît la dérive des procédures dans lesquelles il existe des expertises. Le coût devient tellement élevé que la procédure ne peut être engagée. Tel est le cas dans le domaine de la construction, lorsque les désordres sont minimes. Si on veut que le droit d’accès à la justice soit régulièrement bafoué, alors il faut créer une profession de médiateur qui va surenchérir le coût de la justice. Enfin, il faut lutter contre cette utopie imbécile que constituerait la médiation obligatoire. Je suis favorable à la rencontres avec les médiateurs. On peut même songer à une première rencontre obligatoire pour exposer ce qu’est la médiation. La médiation obligatoire (et certains parlent même de transaction obligatoire) est une utilité. Il faut un processus libre. Monsieur le Conseiller Fabrice VERT, Conseillers près la Cour d’Appel de Paris, écrivait, à juste titre « la réussite du processus suppose que des parties soient d’abord convaincues de l’intérêt même de la médiation pour trouver un bon accord. Si l’audition est contrainte, ce ne sera qu’un passage obligatoire purement formel qui ne donnera pas plus de résultats que les tentatives préalables obligatoires de conciliation devant les Conseils des Prud’hommes ou le Tribunal ». J’aimerais entendre de la part des gouvernants de la profession d’avocat une déclaration aussi ferme et forte. Il faut ajouter qu’il n’y a aucun moyens budgétaires pour promouvoir cette médiation obligatoire. La fonction de médiateur est mal structurée et il y a des autos proclamations de médiateurs non formés. La profession d’avocat est par ailleurs réticente. On développerait, avec ce processus obligatoire, un véritable marché de la médiation qui deviendra une chose commerciale comme il peut y avoir une industrialisation du droit.
Les gouvernants de la profession (quels qu’ils soient) doivent promouvoir des outils. Ainsi, il serait utile qu’un protocole soit établi permettant des discussions, localement, entre les ordres et les juridictions. Cela permettrait de régler les questions aussi simples que l’utilisation de l’acte d’avocat, l’homologation des protocoles d’accord, le choix des médiateurs, la place des avocats en médiation…. Ces protocoles sont indispensables.
Sur le plan déontologique, le règlement intérieur national pourrait être modifié. En Italie, un avocat qui n’indique pas à son client la possibilité d’utiliser la médiation, peut voir ses honoraires contestés et la convention d’honoraire signée annulée.
Il faudrait un chapitre consacré aux règlements amiables et prévoir la nécessité, pour l’avocat, selon les cas, de prescrire cette solution. Ainsi, si un conflit est susceptible de recevoir une solution amiable avant toute procédure ou même lorsque la procédure est déjà pendante, l’avocat devrait rappeler à son client, mais également à l’avocat adverse ou à la partie adverse, si elle n’a pas d’avocat, la possibilité de recourir à la médiation ou à la procédure participative.
Le non-respect de cette disposition pourrait constituer une faute déontologique, susceptible d’entraîner la responsabilité de l’avocat.
Nous avons également la possibilité de démontrer notre attachement à la médiation. Ainsi, il serait possible de prévoir que, lorsqu’une action en responsabilité est engagée à l’encontre d’un avocat, il serait proposé aux deux parties (l’avocat et son client) une médiation sous l’égide de l’Ordre des avocats. Des médiateurs leur seraient proposés. Ils feraient le choix du médiateur. Les réunions permettraient de trouver des solutions. Il serait intéressant, dans un second temps, d’associer la compagnie d’assurances si l’avocat reconnaît une faute.
Cela permettrait de démontrer que la profession d’avocat règle les questions financières et les plaintes des justiciables dans un délai rapide, selon un processus apaisé, et avec l’aide de la compagnie d’assurances pour régler les questions financières.
Les gouvernants de la profession devraient développer un annuaire de la médiation. Nous avons besoin d’un outil de connaissance des médiateurs. Naturellement, cet annuaire ne pourrait comprendre dans un premier temps que les médiateurs issus de la profession d’avocat et inscrits auprès des centres de médiations qui garantiront la formation initiale et continue suivie. Mais, si cet annuaire existe, il sera possible de le développer pour indiquer les médiateurs issus d’autres associations et d’autres professions et en faire un annuaire national indispensable.
De même, nous avons besoin d’un observatoire de la médiation. Cet observatoire pourrait recenser les médiations judiciaires et s’informer des médiations conventionnelles. Il pourrait fournir à la Chancellerie et à l’ensemble des acteurs, des statistiques importantes. On ne peut développer un processus si nous n’avons pas les éléments statistiques nécessaires. D’autres professions ont déjà émis cette idée. Je pense aux huissiers par l’intermédiaire du Président de la Chambre Nationale Patrick SANNINO. Un travail avec d’autres professions et les associations serait indispensable.
Il est également nécessaire de le développer une plate-forme de règlement en ligne des litiges. Il est impensable que la profession d’avocat, en France, ne développe pas cet outil. La profession d’huissier va bientôt en bénéficier en France. Aux États-Unis, plus de 200 000 litiges sont traités par an par des plates-formes de médiation en ligne. Elles existent également au Canada. La profession d’avocat dispose, issus des centres ou de la Fédération Nationale des Centres de Médiation, des médiateurs en nombre suffisant, pour traiter les questions qui pourraient être posées. Il faut créer simplement cet outil informatique. Cela est possible. Si le Conseil National des Barreaux ne le veut pas, les Ordres, autour de la Conférence des Bâtonniers et de l’Ordre de Paris, devront pouvoir créer cette plate-forme de médiation en ligne.
Enfin, il faut que la profession puisse convaincre l’Etat.
En premier lieu, il faut régler cette question de l’aide juridictionnelle. On ne peut en même temps souhaiter le développement de la médiation et ne pas prévoir les outils financiers. Parmi ceux-ci, l’aide juridictionnelle est fondamentale. Ainsi, dans le cadre du grand débat qui concerne cette question il doit être traité du champ d’application de l’aide juridictionnelle en matière de médiation. Par ailleurs, il faut inventer des incitations financières ou fiscales pour développer la médiation. On a évoqué la possibilité de créer des crédits d’impôt, d’alléger la TVA, d’exonérer les personnes des frais de justice et même de lier l’acceptation de la médiation à l’art. 700 du code de procédure civile.
Monsieur André VALLINI, alors Sénateur de l’Isère, avait rappelé que la médiation était la « justice de demain ». Si nous souhaitons avoir une justice de demain à la hauteur des ambitions de notre pays, alors il faut dégager les moyens nécessaires. Le Parlement Européen, à plusieurs reprises, dans plusieurs rapports, a rappelé que les fonds engagés dans la médiation et les modes alternatifs de règlement des conflits, permettaient de faire des économies considérables. 70 % de nos concitoyens répondent favorablement au développement des modes alternatifs. Les avocats ne peuvent ignorer le besoin de leurs clients.
On dit que c’est difficile. Rappelons que « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas que les choses sont difficiles » (Sénèque)
Michel Bénichou
Avocat ancien bâtonnier
Vice-Président du Conseil des Barreaux Européens (CCBE)