« Il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour faire aussi tout son mieux »
René Descartes, Discours de la Méthode.
J'ai juré, voilà maintenant 29 ans, d'exercer la défense "dans le respect des tribunaux". La formule qui évoquait aussi les bonnes mœurs, n'était pas heureuse ; elle ne m'a pas laissé une forte impression et Robert Badinter, devenu Garde des Sceaux, n'allait pas tarder à la remplacer.
Le temps, l'expérience, le combat judiciaire, l'habitude de l'audience, les leçons des erreurs passées, l'intérêt du client, entre autres permettent le plus souvent de trouver l'équilibre entre la courtoisie vigilante (qui n'est en définitive que la forme civile du respect) et l'indépendance, vertu première d'un défenseur.
Je dois aussi souligner que les magistrats dans leur majorité, cultivent le goût des convenances et la politesse de nous laisser croire qu'ils respectent le Barreau et son rôle.
Avocats, nous savons tous pourtant combien la défense est chaque jour plus difficile, quelle force, quelle patience, quelle persuasion il nous faut déployer parfois pour que le juge qui (c'est sa déformation professionnelle) croit toujours tout et mieux savoir, accepte d'écouter et si possible d'entendre.
Mais le combat souvent ingrat que nous livrons ne devrait jamais dégénérer en une remise en cause cynique, déloyale même parfois, de la mission essentielle qui est la nôtre.
Comprenez-moi ; je n'ai pas la naïveté de croire que les juges abandonneront leurs prérogatives légales, ni qu'ils renonceront à la tentation parfois compréhensible de limiter notre temps de parole.
Mais les juges eux aussi se trompent parfois, ce qui est grave car eux n'en ont pas le droit ; et s'ils ont entravé la défense, leur faute en est plus lourde encore.
Regrettons alors qu'ils se refusent trop souvent à envisager sans idées préconçues les mérites de la parole dans l'œuvre de justice.
Les juges n'échappent pas au penchant naturel, souvent inconscient même, de l'homme qui croit que le pouvoir suprême consiste à réduire au silence ceux qui viennent déranger les bonnes consciences et les idées toutes faites.
Que la forme en soit feutrée ou plus agressive n'est pas l'essentiel ; les prétextes importent peu et nul au fond n'est dupe, puisque la rentabilité ou l'efficacité ne sont le monopole ni de la Magistrature, ni du Barreau.
Dans l'histoire, les avocats ont toujours su trouver les trésors d'éloquence et d'adaptation nécessaires pour s'opposer à tous les pouvoirs.
Notre nombre croissant, et notre concurrence avec lui, ne facilitent guère l'expression de notre liberté, mais je ne nourris pas d'inquiétude réelle sur notre capacité de résistance individuelle et collective.
Mon propos est seulement de dénoncer ici les quelques juges qui s'éloignent de la confrontation naturelle de l'audience pour y tenir des propos qui mettent en cause notre dignité et, au-delà les droits de la défense.
Ces situations, pour être rares, ne sont plus exceptionnelles ; tous les dossiers même les plus modestes peuvent en être l'occasion.
Deux exemples récents :
- Devant une chambre civile d'une Cour d'Appel, le Président achève son rapport en invitant l'élève avocat présent à l'audience, de se garder surtout, une fois devenu avocat, de présenter à un un juge des conclusions aussi confuses, propos gratuits et volontairement blessants, tenus en public, notamment devant les parties ; une fois l'arrêt rendu, comme j'aurais aimé pouvoir lui dire ce que j'en pensais...
- Clôturant de longs débats mettant en cause la validité d'un projet de licenciement portant sur plusieurs dizaines de salariés assistant à l'audience, le Président invite les avocats qui s'apprêtent à plaider dans les affaires suivantes à montrer davantage de "professionnalisme" que les confrères qui venaient de les précéder.
Je pense aussi à ces magistrats qui semblent éprouver une sorte de jubilation à humilier des avocats devant leurs clients en mettant en cause la qualité de leur travail. Peut-être espèrent y acquérir l'illusion d'une autorité qui leur fait en réalité cruellement défaut.
Leur impolitesse ne blesse qu'eux-mêmes et l'image qu'ils donnent de la Justice.
Le mépris qu'ils témoignent pour notre travail trahit en effet une incapacité profonde à accomplir la mission essentielle de juger.
Dans de tels cas, la réplique est presque impossible, puisque l'avocat est agressé dans la qualité de son travail, alors que nous en sommes perpétuellement inquiets ; il est déstabilisé dans ce qui est sa raison d'être sous les yeux de celui qui lui avait accordé sa confiance.
L'intérêt du client est en danger et la réponse la plus directe ne se trouverait que dans une remise en cause de la mission du juge.
Tous les dossiers ne justifient pas une défense de rupture ; tout le monde ne peut pas être Jacques Vergès.
Alors, comment répondre ?
Déjà, en admettant que les intérêts qui nous sont confiés sont essentiels et qu'ils s'inscrivent dans un véritable enjeu de démocratie. Il faut s'imprégner de cette idée car elle donne tous les courages.
En nous rappelant encore que notre travail contribue de façon primordiale à l'œuvre de justice et que nous confions aux juges la matière sans laquelle ils seraient incapables d'accomplir leur ministère.
En s'interrogeant aussi sur la singulière notion de famille judiciaire ; d'ailleurs, la famille suppose un sentiment d'appartenance commune dont je ne suis pas certain qu'il unisse la magistrature et le barreau.
Au contraire, la lucidité ne nous oblige-t-elle pas à voir dans les magistrats sans doute ceux qu'il nous appartient de convaincre, mais aussi nos rivaux les plus naturels, ce qui nous contraint à une vigilance permanente et nécessaire.
La violence, enfin, est presque toujours mauvaise conseillère ; l'on parvient rarement à la maîtriser et la fermeté courtoise est une meilleure alliée pour contrer ces agressions.
Sans avoir peur, si la situation le justifie, de provoquer un véritable incident et d'aviser le Bâtonnier de l'Ordre.
En créant une permanence déontologique confiée quotidiennement à un Membre du Conseil de l'Ordre, je cherche à permettre aux Avocats toulousains de bénéficier à tout moment du soutien ordinal dont il peuvent avoir besoin
Avec l'autorité et sous la protection du Bâtonnier et de l'Ordre, nous privilégierons des solutions respectueuses des intérêts qui vous sont confiés ; nous apaiserons les conflits et nous rendrons à nos Institutions la place qui leur est due.
L'Ordre est en effet le meilleur garant de votre indépendance.
« C'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par la violence, c'est à celui qui connaît l'univers, non à ceux qui le défigurent, que nous devons nos respects » Voltaire